La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

dimanche 26 avril 2020

Citadelle, État policier (VI)


Tour de guet, porte principale de la Citadelle de Jaisalmer - Rajasthan - Inde


Contexte de l'extrait : le Roi de la Citadelle est sollicité par les gendarmes. 
Mes gendarmes, dans leur opulente stupidité, me vinrent circonvenir :
- Nous avons découvert la cause de la décadence de l’empire.
Il s’agit de telle secte qu’il faut extirper.
- Eh ! dis-je. À quoi reconnais-tu qu’ils sont liés les uns aux autres ?
Et ils me racontèrent les coïncidences dans leurs actes,
leur parenté selon tel ou tel signe
et le lieu de leurs réunions.
- Et à quoi reconnaissez-vous qu’ils sont une menace pour l’empire ?
Et ils me décrivirent leurs crimes et la concussion de certains d’entre eux,
et les viols commis par certains autres, et la lâcheté de plusieurs, ou leur laideur.
- Eh ! dis-je, je connais une secte plus dangereuse encore,
car nul jamais ne s’est avisé de la combattre !

- Quelle secte ? se hâtèrent de dire mes gendarmes.
Car le gendarme, étant né pour cogner, s’étiole s’il manque d’aliments.
- Celle des hommes, leur répondis-je, qui portent un grain de beauté sur la tempe gauche.
Mes gendarmes, n’ayant rien compris, m’approuvèrent par un grognement.
Car le gendarme peut cogner sans comprendre.
Il cogne avec ses poings, lesquels sont vide de cervelle.

Cependant l’un d’entre eux qui était ancien charpentier toussa deux ou trois fois :
- Ils ne montrent point leur parenté. Ils n’ont point de lieu de réunion.
- Certes, lui répondis-je. Là est le danger. Car ils passent inaperçus.
Mais à peine aurai-je publié le décret qui les désignera à la fureur publique,
tu les verras se chercher l’un l’autre, s’unir l’un à l’autre, vivre en commun
et, se dressant contre la justice du peuple, prendre conscience de leur caste.
- Cela n’est que trop vrai, approuvèrent mes gendarmes.
Mais l’ancien charpentier toussa encore :
- J’en connais un. Il est doux. Il est généreux. Il est honnête.
Et il a gagné trois blessures à la défense de l’empire…
- Certes, lui répondis-je. De ce que les femmes sont écervelées,
en déduis-tu qu’il n’en soit aucune qui fasse preuve de raison ?
De ce que les généraux sont sonores,
en déduis-tu qu’il n’en existe point un, par-ci par-là, qui soit timide ?

Ne t’arrête pas sur les exceptions.
Une fois triés les porteurs du signe, fouille leur passé.
Ils ont été sources de crimes, de rapts, de viols, de concussions,
de trahisons, de gloutonnerie et d’impudeur.

Prétends-tu qu’ils sont purs de tels vices ?
- Certes non, s’écrièrent les gendarmes, l’appétit s’étant éveillé dans leurs poings.
- Or, quand un arbre forme des fruits pourris,
reproches-tu la pourriture aux fruits ou à l’arbre ?

- À l’arbre, s’écrièrent les gendarmes.
- Et quelques fruits sains le font-ils absoudre ?
- Non ! Non ! s’écrièrent les gendarmes qui, bien heureusement, aimaient leur métier,
lequel n’est point d’absoudre.

- Donc serait équitable de me purger l’empire de ces porteurs d’un grain de beauté sur la tempe gauche.
Mais l’ancien charpentier toussa encore.
- Formule ton objection, lui dis-je, cependant que ses compagnons guidés par leur flair
jetaient des coups d’œil lourds d’allusions dans la direction de sa tempe.
L’un d’eux s’enhardit, toisant le suspect :
- Celui qu’il dit avoir connu… ne serait-ce point son frère… ou son père…
ou quelqu’un des siens ?

Et tous grognèrent leur assentiment.
Alors flamba ma colère :
- Plus dangereuse encore est la secte de ceux
qui portent un grain de beauté sur la tempe droite !

Car nous n’y avons même pas songé ! Donc elle se dissimule mieux encore.
Plus dangereuse encore que celle-là est la secte de ceux qui ne portent point de grain de beauté,
car ceux-là vont dans le camouflage, invisibles comme des conjurés.
Et en fin de compte, de secte en secte, je condamne la secte des hommes tout entière,
car elle est, de toute évidence, source de crimes, de rapts, de viols, de concussion,
de gloutonnerie et d’impudeur.
Et comme il se trouve que les gendarmes, outre qu’ils sont gendarmes, sont hommes,
je commencerai à travers eux, usant d’une telle commodité, l’épuration nécessaire.
C’est pourquoi je donne l’ordre au gendarme qui est en vous
de jeter l’homme qui est en vous sur le fumier des cachots de mes citadelles !

Et s’en furent mes gendarmes, reniflant de perplexité
et réfléchissant sans grand résultat,

car il se trouve qu’ils réfléchissent avec les poings.




4 commentaires:

  1. Je reviens du marché justement... Renifler de perplexité et la polémique sur le fruit ou l'arbre pourri ça me parle !

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    1. T'as bien reniflé tes fruits et légumes, j'espère

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  2. Ils sentent un peu trop la graine de v à mon goût...

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    1. Tes légumes ?
      :))
      A mon avis, les flics en tout genres, ils en ont trop mangé, de la graine de V
      sans saisir que cette brutalité dans leurs poings provient du plus profond d'eux-mêmes.

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