Anecdote : vers l’âge de 25 ans j’ai découvert « Le petit prince » de Antoine de Saint-Exupéry.
Génial de sensibilité et de tendresse sauvage, pure, ce conte original m’a plu, touché, "parlé".
Plus tard, j’ai emprunté un autre livre de cet auteur à la bibliothèque, soit « Carnets »,
soit « Courrier Sud » (je ne me souviens plus), mais le contenu ne m’a pas intéressé.
En fin février dernier (~30 ans plus tard), dans une boîte à livres, je suis tombé sur « Citadelle ».
Je n’en avais pas entendu parlé.
Pfff…, oh la la, cela fait un moment, sauf erreur depuis le roman de D. Quinn (merci Virevolte et Redelf),
que je n’ai pas été autant remué et enthousiasmé par le contenu d’un livre, par ailleurs assez hermétique.
Ce n’est pas un roman ni un conte ni de la poésie, plutôt, selon moi, un essai mené par métaphores
retraçant les pensées et regard que pose l’auteur sur le monde (des humains).
Comme l’explique son épouse, en conclusion du livre,
A. de St-Exupéry voulait « l’élaguer et le mettre en ordre » selon un plan précis,
toutefois il a disparu en plein vol. Cet essai inachevé est paru quelques années après.
Remarque : déjà par rapport au Petit prince, mais surtout en découvrant Citadelle,
je suis surpris, étonné, que les autorités nomment des rues et collèges au nom de St-Exupéry.
Je me demande : les autorités, ont-elles saisi le propos, le sentiment (impression générale),
de A. de St-Exupéry qui, s’il était des plus civilisés au sens noble du terme,
il n’en n’était pas moins critique par rapport à notre société et donc, notre civilisation.
Il se pourrait bien que, s’il vivrait actuellement, A. de St-Exupéry se voit taxé d’écoterroriste,
d’anarchiste, de résistant au Progrès-on-peut-pas-faire-autrement-malnécessaire-demain-sera-mieux, etc.
Envie de partager quelques extraits, sur plusieurs publications, de Citadelle,
écrit par un grand Homme : A. de St-Exupéry.
Commentaire personnel : ce qui est déroutant dans cette œuvre, je trouve,
c’est que l’on ne sait pas qui est ce « je ».
Par moments, j’ai l’impression que c’est Dieu (qui parlerait de ses créatures, les humains).
À d’autres moments, il semble s’agir d’un haut-gradé de l’armée
alors qu’à d’autres moments, il s'agit d'un Roi qui s’exprime, celui de la Citadelle en question,
et, par moments, il semble que ce soit A. de St-Exupéry, ce « je ».
Cet auteur, pilote d’avion, a traversé les deux guerres mondiales. Il y a participé.
Des morts, des situations épouvantables, il a dû en voir de toutes les couleurs.
Voici ce qu’il en dit, de la mort :
Certes, j’ai vu des hommes fuir la mort, saisis d’avance par la confrontation.
Mais celui-là qui meurt, détrompez-vous, je ne l’ai jamais vu s’épouvanter.
(…)
C’est lui (le père de « je ») qui m’enseigna la mort
et m’obligea quand j’étais jeune de la regarder bien en face (…)
Et je prétends qu’aucun d’entre nous ne craignait la mort,
mais tous nous tremblions pour de petits objets stupides.
Nous découvrions que la vie n’a de sens que si on l’échange peu à peu.
La mort du jardinier n’est rien qui lèse un arbre.
Mais si tu menaces l’arbre, alors meurt deux fois le jardinier.
Contexte : « je » se retrouve dans une famille, parmi leurs proches,
qui sont en train de veiller un enfant qui se meurt :
Et ils ne prirent point attention à moi, occupés qu’ils étaient de l’écouter mourir.
(…)
Et je les abandonnai, occupés qu’ils étaient de lui tendre des pièges pour qu’il vécût.
Oh ! Si facile à éventer par cet enfant de neuf ans.
Mais sa petit main les repoussait inexorable quand on les plaçait trop contre lui
comme celui-là écarte les broussailles qui ont ralenti son galop.
A. de St-Exupéry ne semblait pas apprécier les sédentaires :
Car j’ai découvert cette autre vérité.
Et c’est que vaine est l’illusion des sédentaires
qui croient pouvoir habiter en paix leur demeure
car toute demeure est menacée.
(…)
(…) à mes boutiquiers enrichis que gonfle la sécurité
je préfère le nomade qui s’enfuit éternellement
et poursuit le vent,
car il embellit de jour en jour de servir un seigneur si vaste.
(…)
Car j’aime que l’homme donne sa lumière.
Et peu importe le cierge gras.
Notre langage verbal et écrit, limité, pose un sérieux problème :
Mais comment la rigueur imposerait-elle un langage qui par lui-même
diviserait les hommes en les laissant se contredire ?
Car imposer un tel langage c’est imposer la division et démanteler la rigueur.
(…)
Mais je sais aussi que ces litiges ne sont que litiges de langage
et que chaque fois que l’homme s’élève, il les observe d’un peu plus haut.
Et les litiges ne sont plus.
L’auteur poursuit (plus avant) sur les limites du langage et aussi, selon moi, de l’activité mentale :
C’est alors que m’apparut dans son évidence la folie sanguinaire des idées,
et j’adressai à Dieu cette prière :
« As-tu donc été fou de les faire croire en leur pauvre balbutiement ?
Qui leur enseignera non un langage, mais comme se servir d’un langage ?
Car de cette affreuse promiscuité des mots, dans un vent de paroles,
ils ont tiré l’urgence des tortures.
De mots maladroits, incohérents ou inefficaces,
des engins de torture efficaces sont nés.
(…)
Ne crains point ces contradictions dont ton langage insuffisant use pour parler sur les hommes.
Car il n’est rien qui soit contradictoire sinon le langage qui exprime.
(…)
Ils vinrent, ceux-là plus sots encore avec leurs raisons
et leurs mobiles et leurs belles argumentations.
Mais moi qui sais que le langage désigne mais ne saisit point
et que les discours montrent la démarche de la pensée
mais ni la contredisent ni ne l’étayent,
je riais d’eux.
(…)
Je méprise quiconque est forcé par des arguments,
car les mots te doivent exprimer et non conduire.
Ils désignent sans rien contenir.
(…)
Je respecte celui qui, à travers les mots et même s’ils se contredisent,
demeure permanent comme l’étrave d’un navire,
laquelle malgré la démence de la mer revient inexorable à son étoile.
Car ainsi, je sais où l’on va.
Mais ceux qui s’enferment dans leur logique suivent leurs propres mots,
et tournent en rond comme des chenilles.
(…)
La vie n’est ni simple ni complexe, ni claire ni obscure, ni contradictoire ni cohérente.
Elle est.
Le langage seul l’ordonne ou la complique, l’éclaire ou l’obscurcit, la diversifie ou l’assemble.
Et si tu as donné un coup à droite et un coup à gauche, il n’en faut pas déduire deux vérités contraires
mais la vérité une de la rencontre.
Et la danse seule épouse la vie.
(…)
J’aime celui-là qui connaît la danse et qui danse.
Car là seulement est la vérité.
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je ne connais pas ce livre ! je note !
RépondreSupprimerComme j'aime ces phrases :
"La mort du jardinier n’est rien qui lèse un arbre.
Mais si tu menaces l’arbre, alors meurt deux fois le jardinier."
L'arbre est l'une des métaphores centrales, principales, dans ce livre.
Supprimer;)
Bon, il faut que je le trouve alors ! ;)
Supprimer:)
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