La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

samedi 13 octobre 2018

Fonctionnement de l'ego (J K)

Lumière apocalyptique en soi-même.
Une révélation peut induire un nouveau mouvement…

Lors d’une causerie publique, en 1973,
Jiddu Krishnamurti explique le fonctionnement de l’ego
en débattant sur le sujet de la méditation, de ce qu’est la méditation.

Au fil des ans, ce sont plusieurs ouvrages que j’ai lu de Krishnamurti,
mais un chapitre autant technique, il me semble que c’est une première.
En à peu près quatre pages, il présente une initiation, un enseignement complet !

Extrait (les présentation et mises en gras sont de mon fait) :
Si l’ego est à l’œuvre, la vraie méditation est impossible.
Il est essentiel de comprendre que ce ne sont pas là de simples mots :
le fait est bel et bien réel.
La méditation est le processus
par lequel l’esprit se vide de toute activité égocentrique,

de toute activité du « moi ».
Si vous ne comprenez pas comment fonctionne le « moi »,
votre méditation ne vous mènera qu’à l’illusion et au mensonge,
et à des distorsions de plus en plus marquées.

NB : il est noté (et traduit en français) des « distorsions ». Il s'agit, comme nous allons le lire,
de distorsions notamment entre « ce qui est » et « ce qu’on voudrait qui soit »,
et il est aussi question de distorsions temporelles.

J. Krishnamurti entre dans le vif du sujet :
L’ego a vécu des myriades d’expériences d’ordre matériel, sensuel ou intellectuel
qui l’ont lassé, faute d’avoir suffisamment de sens.
Le désir de passer à d’autres expériences
– plus larges, plus vastes, d’ordre transcendantal –
est inscrit dans le « moi »,
fait partie de l’ego.
Lorsqu’on vit de telles expériences, ou qu’on a de telles visions,
il faut pouvoir identifier ces expériences ou ces visions,
mais si on les reconnaît,
c’est qu’elles ne sont pas nouvelles,
qu’elles ne sont que de simples projections de notre arrière-plan personnel,
de notre conditionnement,
et ces projections procurent à l’esprit
autant de plaisir que s’il s’agissait de choses inédites
.

La dernière phrase met bien en avant notre "faculté" à se leurrer soi-même.

Considérons les besoins irrépressibles de « moi-je »,
ce créateur de conflits incessants :
L’une des exigences, des demandes, des soifs les plus ardentes de l’esprit
est le désir de transformer « ce qui est » en « ce qui devrait être ».
Ne sachant que faire de « ce qui est » car il est impuissant à lui trouver des solutions,
l’esprit se forge une idée de « ce qui devrait être » – il se projette donc dans un idéal.
Cette projection est l’antithèse de « ce qui est »,
d’où le conflit entre la réalité des faits et l’idéal.
Ce conflit est le souffle vital, le sang même de l’ego.

Ce que je comprends :
au service de « moi-je », l’esprit, c’est-à-dire l’activité mentale dont la pensée,
fonctionne toujours par division notamment en bien ou mal, rentable ou non, etc.
Il compare et mesure, ce qui nécessite un modèle et un contre-modèle…
En comprenant cette dynamique, on comprend que la pensée duelle
passe constamment du meilleur au pire au meilleur au pire et ainsi de suite.
Les préoccupations de « moi-je » nous limite, par besoin de contrôle,
en créant une vision de contradictions et d’extrêmes irréconciliables,
genre : si ce n’est pas noire c’est blanc (pas d’ouverture à d’autre possibilité,
ni option que ça puisse être les deux à fois, par exemple).

Krishnamurti enchaîne sur deux autres caractéristiques de notre esprit égotique :
Une autre activité de l’ego est celle du vouloir – on veut devenir, on veut changer.
Le vouloir est une forme de résistance qui nous a été inculquée dès l’enfance,
et qui a pris pour nous une énorme importance, sur le plan économique, social et religieux.
Le vouloir est une forme d’ambition,
qui donne naissance au désir de contrôle
– telle pensée en contrôlant une autre,
telle activité de la pensée en contrôlant une autre.
« Je dois contrôler mes désirs » : le « je » est un stock de souvenirs et d’expériences,
réunis par la pensée sous le vocable « moi ».
Cette pensée-là veut contrôler, façonner,
nier une autre pensée.
L’une des activités de l’ego consiste à se dissocier
– en tant que « moi », l’observateur –
de ce qu’il observe.
Or, l’observateur, c’est tout le passé,
c’est une accumulation de connaissances, d’expériences, de souvenirs.
(…)
Voyez la réalité – celle des faits, et non des mots
(…)
La méditation consiste à évacuer de l’esprit toute activité liée à l’ego.
Et cela ne dépend ni d’une pratique, ni d’une méthode,
ni d’une requête du style : « Dites-le-moi, ce qu’il faut faire. »
Donc,
si vous êtes sérieusement intéressé par cette démarche,
c’est par vous-même que vous devez identifier, parmi vos activités,
celles qui sont propres à l’ego – les habitudes, les propos, les gestes,
les mensonges, les punitions, la culpabilité que vous cultivez
et à laquelle vous vous agrippez comme à un trésor,
au lieu de vous en débarrasser –
bref, toutes les activités qui relèvent de l’ego.
Et cela exige de la vigilance.

Rappel : penser à établir des liens, des parallèles et rapprochements,
par exemple avec l’activité majeure d’un guerrier de l’esprit : traquer les parasitages.
Vigilance, en soi-même, afin d’y repérer ce qui agit et provient de l’ego,
est une autre façon d’exprimer le besoin de traquer les interférences intérieures.

J. Krishnamurti poursuit sur le sujet de la vigilance :
Qu’est-ce que la vigilance ?
Elle suppose une observation dénuée de tout choix
– il faut juste observer,
sans rien interpréter, traduire ni déformer.
(…)
Vous entendez ces propos (« la vigilance est un état d’esprit
qui exclut de la part de l’observateur tout recours à un choix »).
Vous voulez immédiatement les mettre en pratique, (…),
Vous dites alors « Que dois-je faire ?
Comment être attentif sans que l’observateur entre en jeu ? »
Ce que vous voulez, c’est vous mettre tout de suite à l’œuvre, (…)
Vous avez plus envie de mettre en actes ces propos que de les écouter vraiment.
C’est comme de regarder une fleur, de respirer son parfum.
La fleur est là, resplendissante de beauté, de couleurs.
Vous la regardez,
et vous la cueillez,

et vous commencez à la mettre en pièces.
Vous faites la même chose lorsque vous écoutez (…)
(…)
Alors qu’en étant totalement ouvert à l’écoute, on respire alors le parfum,
la vérité de la chose.
Et c’est ce parfum, cette vérité qui agissent,
et non le « moi » qui s’épuise sans cesse à agir « comme il faut ».
Vous saisissez ?

Ce grand et noble Homme allait loin, dans le lumineux, au-delà du temps :
Pour découvrir la beauté de la méditation, sa profondeur,
vous devez donc passer au crible les activités de cet esprit
qui n’est autre que l’expression du temps.
Il vous faut donc comprendre le temps.

Avant de poursuivre sur le sujet complexe de notre rapport au temps,
relevons ce qu’il préconise avec véhémence à ses auditeurs :
Soyez attentifs à tout cela, je vous en conjure.
Écoutez, ne faites rien d’autre qu’écouter.
Démêlez le vrai du faux.
Observez simplement.
Écoutez avec votre cœur,
pas avec votre vilain petit esprit mesquin.

NB : « démêlez le vrai du faux » en soi-même.
Le faux provient du vouloir de « moi-je »
dont le regard scinde tout en bien ou mal, ce qui ne produit que violence.

Ce qui ne provient pas de l’ego  –  de ce qui est connu et ressassé  –
émane forcément d’« autre chose ».

Le vrai (distingué du faux) est lumière,
et cela provient du silence intérieur,
comme va le dire Krishnamurti.

Ce dernier va expliquer notre rapport au temps,
ce qu’est le temps (pour chacun, c’est-à-dire qu’il est question
de notre rapport psychologique au temps) :
Le temps, c’est le mouvement, tant sur le plan physique que psychologique.
Physiquement, il faut du temps pour aller d’un point à un autre.
Psychologiquement, le mouvement du temps
est celui par lequel on passe de « ce qui est » à « ce qui devrait être ».
Il en résulte que la pensée,
qui est identique au temps,
ne peut jamais rester tranquille, puisqu’elle est mouvement
et que ce mouvement fait partie intégrante du « moi ».
La pensée, selon nous, se confond avec le mouvement du temps : en effet,
elle est l’écho du savoir, de l’expérience, de la mémoire, autrement dit, du temps.
Elle ne peut donc jamais rester en place.
Elle ne peut jamais être neuve.
Elle ne peut jamais être source de liberté.

Naissance ou découverte (par l’écoute de soi) de l’esprit de fond :
Lorsqu’on prend conscience du processus de l’ego dans l’ensemble de ses activités
– telles que l’ambition ou la quête d’épanouissement dans le domaine relationnel –,
il naît de cette prise de conscience un « esprit » qui est parfaitement calme et silencieux.
Mais ce n’est pas la pensée qui s’immobilise – comprenez-vous la différence ?
La plupart des gens s’efforcent de contrôler leurs pensées, espérant ainsi pacifier leur esprit.
(...)
Ils ne voient pas que la pensée est un mouvement.
Certes, on peut faire une distinction entre l’observateur et l’observé,
ou entre le penseur et la pensée, ou entre celui qui contrôle et ce qu’il contrôle –
mais c’est toujours le même mouvement.
Et la pensée ne peut jamais rester tranquille,
car si elle s’immobilise, elle meurt
– elle ne peut donc pas se permettre de rester immobile.

Abordons le sujet du pouvoir du silence.
J. Krishnamurti poursuit :
Pour peu qu’on ait examiné tout cela en profondeur,
en sondant au plus profond de soi-même,
l’on constate alors que l’esprit devient tout à fait calme et silencieux,
sans qu’on ait à le contraindre, à le contrôler, à l’hypnotiser.
Et il « faut » qu’il soit silencieux, car ce n’est que dans ce silence
que peut surgir une chose tout à fait inédite, non identifiable.
Si je force mon esprit à une immobilité silencieuse,
en le soumettant à des pratiques, à des subterfuges divers, ou à des chocs,
ce silence sera celui d’un esprit qui a lutté contre la pensée, qui l’a contrôlée, écrasée.
Cela n’a rien à voir avec un esprit qui a percé à jour les agissements de l’ego,
et a su voir, derrière le temps, le mouvement de la pensée.
L’attention même portée à tout ce mouvement
suscite cet état de silence absolu de l’esprit,

propice à l’éclosion de quelque chose de totalement neuf, inédit.

Ensuite, Krishnamurti explique que parvenir au silence intérieur
peut s’effectuer de suite (une fois identifié ce qui provient de l’ego),
sans processus à engager ni apprentissage ni autre,
c’est-à-dire sans que cela ne s’inscrive dans le temps,
cette fois physique, celui des montres et des calendriers.
Il continue :
Ce qu’il faut, plutôt que du temps,
ne serait-ce pas le surgissement d’une énergie tout à fait nouvelle,
capable de balayer tout le reste instantanément ?
(…)
Le temps n’entre en jeu que lorsqu’on analyse, que l’on inspecte,
que l’on examine un par un les fragments épars de ce qui constitue le « moi ».
Mais lorsque j’embrasse d’un seul regard
l’ensemble de ce processus qui forme la pensée,

le temps perd toute validité, bien que l’homme en ait accepté le caractère inéluctable.
Mais, l’esprit ayant enfin vu la fausseté de cette conception, le temps cesse d’exister.
Jamais on ne s’approche trop près d’un précipice :
il faut être déséquilibré ou fou, pour en franchir le bord ;
si vous êtes sain de corps et d’esprit, vous restez à distance.
Le geste d’évitement ne prend pas de temps, il est instantané,
parce que vous voyez ce qui se passerait en cas de chute.
De même,
il vous suffit de voir la fausseté de tout ce mouvement de la pensée,
de tout ce processus d’analyse, d’acceptation du temps, etc.,
pour que se déclenche une action instantanée de la pensée
qui déclenche à son tour l’effacement du « moi ».
(…) on peut vivre, en tant qu’être humain, une vie où il est une vigilance,
une attention de tous les instants,
où l’esprit reste aux aguets à observer l’ego en mouvement.
Cette observation se nourrit de silence, et non d’« a priori ».
L’esprit, ayant observé les agissements de l’ego et en voyant la fausseté,
est ainsi devenu extraordinairement sensitif, et silencieux.
Et c’est sur la base de ce silence qu’il agit. « Dans la vie quotidienne ».

Donner du sens à sa vie, ce n'est pas ni un idéal ni une utopie :
(…) l’enjeu (de comprendre le fonctionnement de l'ego),
ce n’est pas ma vie, mais la vôtre, telle que vous la vivez,

sous le signe de la souffrance, de la tragédie, de la confusion,
du châtiment et de la récompense.
(…)
La religion, c’est la cessation du « moi »,
et l’action née de ce silence.
Cette vie-là est une vie sacrée, pleine de sens.

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8 commentaires:

  1. Eric,
    Passionnant, une fois de plus.
    Cela éclaire beaucoup et amène plus de précision, éloigne des préjugés.
    Mais aussi rend la question plus complexe.
    C'est bon signe, quelque part.
    Merci !
    Thierry

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    1. "... éloigne des préjugés ..."
      Dans l'expression de Krishnamurti, il n'y a point d'ombre, aucune opposition !
      En le lisant, avec attention, tout paraît si évident (pour moi)...
      Ce qui est complexe, c'est de vivre cela au quotidien, constamment, je trouve.
      A + Thierry

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  2. je ne sais pas méditer, je ne sais pas m'arrêter, car rien que le fait de penser qu'il va falloir méditer ou m'arrêter de penser m'en rend incapable. par contre je me suis aperçue que lors de mes balades en forêt je fais le vide, j'observe sans rien attendre, je suis à l'écoute et je crois bien que sans le savoir, sans l'analyser je médite en marchant ! ;)

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    1. J'en suis également incapable, d'arrêter de penser, sauf par moments.
      Ce que dit Krishnamurti, que tout cela est lié à notre façon de porter
      notre attention sur..., est juste.

      Ce que tu décris de tes balades, ben, c'est ça ! C'est exactement ça.
      ;))
      A + Vi

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  3. Bsr Eric,
    je viens méditer:_) sur ton article encore une fois passionnant à lire.
    Je prends souvent le temps de faire le vide même 10 minutes et
    je me sens moins stressée.
    J'ai un cousin qui fait du yoga méditation depuis 30 ans , participé à des congrès
    lus une quantité incroyable de livres, la méditation c'est 2 h par jour chez lui.
    Tout ça pour dire que je me suis toujours posée une question: comment après 30 ans
    de méditation il arrive à être en colère quand il arrive pas à réparer un appareil
    pourtant c'est pas dramatique ou si une chose ne conviens pas venant d'autres personnes. La c'est pas une petite mais une grande colère qui dure des heures.
    Alors je me dis parfois après 30 ans de méditation c'est incroyable...
    Te souhaites une bonne soirée Espi:-))

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  4. Re Eric,
    j'ai oublié de préciser c'est la méditation ayurvédique qu'il fait depuis
    30 ans, y compris la nourriture pas de viande ni poissons.
    A +

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    1. Tu rends compte de deux situations typiques, expliquées par Krishnamurti :
      - se vouloir zen, méditant et élevé spirituellement, comme probablement ton cousin
      qui s'inflige une discipline de fer et qui, au final, passe son temps à lutter
      contre lui-même, contre son ego (ce qui ne fait, souvent, que de le renforcer) ;
      - pratiquer de la méditation spontanée, parfois sans le vouloir, sans pose
      particulière ni autre mise en condition : faire le vide.
      Tmor aussi l'avait écrit une fois, qu'il faisait le vide
      et, l'exemple de Virevolte qui, sans chercher à méditer,
      cela se fait lorsqu'elle marche en forêt...

      A + Lucette

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    2. Ne pas se prendre la tête et surtout ne pas se croire plus intelligent, plus zen ou "plus" que les autres ! :D ça m'a bien fait rire !

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