La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

samedi 25 avril 2020

Citadelle, de la ferveur (V)


Comment parvenir à distinguer un humain-humain
d’un humain-bête (à l’esprit de porc calculateur) ?

Peut-être que Antoine de Saint-Exupéry va pouvoir nous aider à les distinguer ?
Dans la Citadelle de Jaisalmer, un temple Jaïn - Rajasthan - Inde


Relevons (dans ce qui suit) comment évolue l’humain-bête, en circuit fermé, inextricable :
Ceux-là qui se proposent avec des raisons cohérentes
et non avec leur richesse de cœur,

et qui discutent pour agir selon la raison,
tout d’abord ils n’agiront point,
car à leurs syllogismes, plus habile leur opposera des arguments meilleurs,
auxquels ayant réfléchi à leur tour ils opposeront de meilleurs arguments encore.
Et ainsi d’avocat habile en avocat plus habile, pour l’éternité.
Car il n’est point de vérités qui se démontrent sinon celles du passé (…)

Quand l’homme est ladre et vaniteux, va-t-on me dire par le calcul,
si pour quelque raison ses défauts entrent en conflit,
lequel de sa ladrerie ou de sa vanité l’emportera ?

Et si tu veux comprendre les hommes,
commence d’abord par ne jamais les écouter.

Car le cloutier te parle de ses clous.
L’astronome de ses étoiles.
Et tous oublient la mer.

* * *

Il est intéressant de considérer, et je m’adresse plus particulièrement aux messieurs,
l’avis de A. de St-Exupéry concernant nos activités sexuelles, ce que nous y perdons
lorsqu’elles sont menées « pour l’hygiène » ou en compensation à des frustrations plus profondes :
M’apparut éclatante cette autre vérité de l’homme,
à savoir que ne signifie rien pour lui le bonheur (…)

Mais le bonheur je l’ai vu facilement dédaigné par tous
quand il n’était qu’absence de souci et sécurité.
Le Roi envoie ses soldats saisir quelques prostituées afin d’en étudier les mœurs :
(…) Il était d’usage chez elles de chanter un chant monocorde
pour retenir l’attention des passants

à la façon des méduses molles qui disposent la glu de leur piège.
Ainsi montaient le long de la ruelle ces litanies désespérées.
Et quand l’homme se laissait prendre,
la porte se fermait sur lui pour quelques instants

et l’amour se consommait dans le délabrement le plus amer,
la litanie un instant suspendue,
remplacée par le souffle court du monstre blême et le silence dur du soldat

qui achetait à ce fantôme le droit de ne plus songer à l’amour.
Il venait faire éteindre des songes cruels, (…)
Le ruisseau s’était fait musique cruelle
et les sourires des filles et leurs seins tièdes sous l’étoffe

et les ombres de leurs corps devinés et la grâce qui nouait leurs gestes,
tout s’était fait pour lui brûlure du cœur de plus en plus dévorante.
C’est pourquoi il venait user sa maigre solde
pour demander au quartier réservé de le vider d’un songe.

Et quand la porte se rouvrait, il se retrouvait sur la terre, refermé en soi-même, dur et méprisant,
ayant pour quelques heures décoloré son seul trésor dont il ne soutenait plus la lumière.

* * *

Deux choses par rapport à la métaphore du temple, que j’ai déjà commenté auparavant :
A. de St-Exupéry, en tant que Roi de la Citadelle dans le désert,
fait construire un temple pour que les hommes s’activent et transforment la matière
(de pierres, construire un bâtiment) et aussi, afin qu'ils mobilisent leur ferveur
et encore, pour qu’ils trouvent du sens à leur quotidien puisque,
une fois les efforts fournis, chacun peut en quelque sorte s’approprier du temple
qui devient un espace commun notamment de prière*, recueillement et cérémonie.

* Note : pour cet auteur, prier est action d’amour.

Si tu veux qu’ils soient frères, oblige-les de bâtir une tour.
Mais si tu veux qu’ils se haïssent, jette-leur du grain.

La seconde chose à savoir concernant le temple, c’est que, en chacun de nous,
nous devrions nous construire notre propre temple dans notre citadelle,
notre Royaume (métaphore utilisée dans le Yi-King et aussi, par Lao Tseu) ou empire.
N’invente point d’empire où tout soit parfait.
Car le bon goût est vertu de gardien de musée.
Et si tu méprises le mauvais goût tu n’auras ni peinture, ni danse, ni palais, ni jardins.
Tu auras fait le dégoûté par crainte du travail malpropre de la terre.
Tu en seras privé par le vide de ta perfection.
Invente un empire où simplement tout soit fervent.

En parlant du temple de sa Citadelle, l’auteur écrit :
Et je découvris que l’intelligence ne te servira ici de rien.
Tu peux certes raisonner sur l’arrangement des pierres du temple,
tu ne toucheras point l’essentiel qui échappe aux pierres.
(…)
Et les rites imposés t’augmentent.
Et l’enfant triste, s’il voit jouer les autres,
ce qu’il réclame d’abord c’est qu’on lui impose à lui aussi les règles du jeu
qui seules le feront devenir.

Mais triste est celui-là qui écoute sonner la cloche sans qu’elle exige rien de lui.


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3 commentaires:

  1. Si tu veux qu’ils soient frères, oblige-les de bâtir une tour.
    Mais si tu veux qu’ils se haïssent, jette-leur du grain.
    Oui, construire ensemble plutôt que de se battre pour posséder plus que l'autre ! On en revient toujours au problème de l'appropriation ! Depuis qu'on s'approprie les choses on fait la guerre !

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