La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

dimanche 10 mai 2020

Citadelle, nourritures (VIII)


Au sujet des diverses nourritures (et non seulement celle fournie par le manger)
que l’humain méconnaît ou plutôt, ne connaît plus, dont il a oublié les bienfaits,
Antoine de Saint-Exupéry a écrit :

M’apparut ainsi la seule fontaine où se pussent abreuver l’esprit et le cœur.
Le seul aliment qui te convînt.
Le seul patrimoine à sauver.
Et qu’il te fallait rebâtir là où tu avais dilapidé.
Car te voilà assis parmi tes ruines d’objets épars,
et si l’animal est satisfait,
l’homme est chez toi menacé par la famine
et ne connaissant point ce dont il a faim
,
car tu es de même ainsi bâti que ton besoin de nourriture est le fruit de ta nourriture
et que si une part de toi est maintenue chétive
et en demi-sommeil faute d’aliment ou d’exercice,
tu ne réclames ni cet exercice ni cet aliment.
C’est pourquoi tu ne sauras point,
si nul ne descend vers toi de sa montagne et ne t’éclaire,
quelle route à suivre te sauvera.

De même que tu ne croiras point aussi savamment que l’on te raisonne,
quel homme naîtra de toi ou s’y réveillera
puisqu’il n’y est point encore.
C’est pourquoi ma contrainte est puissance de l’arbre et par elle libération de la rocaille.


Plan d'eau de la Citadelle Jaisalmer - Rajasthan - Inde


La "liberté" romancée et médiatisée n’a rien à voir avec (le sentiment de) la liberté :

Et ceux-là seuls accèdent à la connaissance véritable qui refont le chemin perdu
et retrouvent les êtres qu’ils ont répandus en gravats.
(…)
Et c’est pourquoi je dis encore que
ma contrainte te délivre et t’apporte la seule liberté qui compte.

Car tu appelais liberté ce pouvoir que tu as de démolir ton temple,
de mêler les mots du poème,
d’égaliser les jours que mon cérémonial avait bâti en basilique.

Liberté de faire le désert.

Et où te trouveras-tu ?

Moi j’appelle liberté ta délivrance.


Il n’y a pas que les médicaments qui ont des effets dits secondaires, en fait pervers.
L’auteur nous rend attentifs que même en voulant le bien…
Néanmoins, il vaut mieux accepter tous les effets, plutôt que de rester figer dans un idéal :

Certes toute qualité comporte les ferments de sa destruction.
La générosité, le risque du parasite qui l’écœurera.
La pudeur, le risque de la grossièreté qui la ternira.
La bonté, le risque de l’ingratitude qui la rendra amère.

Mais toi, pour le soustraire aux risques naturels de la vie,
tu souhaites un monde déjà mort
.



Les objets, surtout ceux de valeurs ‒ diamants, tableaux, etc. ‒ , nous "nourrissent"-ils ?

Car la possession de l’objet certes est permanente mais non point l’aliment que tu en reçois.
Car l’objet n’a de sens que de t’augmenter,
et tu t’augmentes de sa conquête mais non de sa possession.
(…)
Car tes mouvements intérieurs ne sont point gouvernés par l’usage des objets conquis
et ton âme s’alimente du sens des choses et non des choses.


Précision :
de convoiter un objet et de tout mettre en œuvre pour l’obtenir peut nous « augmenter »
(c’est-à-dire nous faire "grandir", nous façonner ; A. de St-Exupéry emploie souvent le verbe « fonder »).
Néanmoins, une fois obtenu, une fois que l’objet convoité nous a "nourri",
de le posséder ne nous nourrira plus. Et c’est l’objet qui finit par nous posséder…

A. de St-Exupéry le répète souvent : c’est ce que la chose permet qui donne sens
et non la chose en elle-même.
Et ce qui donne sens, nos relations ‒ entre nous, comme avec les objets ou avec les autres formes de vie ‒ ,
nourrit notre âme (aliments du plan subtil) ainsi que les cœur et esprit :

La raison n’a rien à y voir.
Car tu ne construis point un corps à partir d’une somme.
Mais tu plantes une graine et c’est telle somme qui se montre.
Et c’est la qualité de l’amour dont naîtra seule raisonnablement la proportion,
laquelle te sera invisible par avance,
sauf dans le langage stupide des logiciens,
des historiens et des critiques qui te montreront tes morceaux
et combien tu eusses pu en grossir l’un aux dépens des autres,
démontrant aisément que celui-là est à grossir plutôt que l’autre,
alors qu’ils eussent tout aussi bien établi le contraire,
car si tu inventes l’image des cuisines et celle de la salle de danse,
il n’est point de balance pour te départager l’importance de l’une ou de l’autre.

C’est que ton langage devient vide de sens dès que tu préjuges de l’avenir.

Construire l’avenir c’est construire le présent.
C’est créer un désir qui est pour aujourd’hui.
Qui est d’aujourd’hui vers demain.
Et non réalité des actes qui n’ont de sens que pour demain.
Car si ton organisme s’arrache au présent il meurt.

La vie qui est adaptation au présent et permanence dans le présent
repose sur des liens innombrables que le langage ne peut saisir.
L’équilibre est fait de mille équilibres.
Et il en est, si tu en tranches un seul à la suite d’une démonstration abstraite,
comme de l’éléphant qui est construction énorme et qui cependant,
si tu tranches un seul de ses vaisseaux, va mourir.

Il ne s’agit point là de souhaiter que tu ne changes rien.
Car tu peux tout changer.
Et d’une plaine âpre tu peux faire une plantation de cèdres.
Mais il importe non pas que tu construises des cèdres mais sèmes des graines.

Et à chaque instant la graine elle-même ou ce qui naîtra de la graine sera en équilibre dans le présent.


Des opposés dans lesquels se débattent nos pensées,
et du risque de vouloir supprimer une chose sans réfléchir à l’atteinte paradoxale :

À cause d’une fausse algèbre ces imbéciles ont cru qu’il existait des contraires.
Et le contraire de la démagogie c’est la cruauté.
Alors que le réseau de relations dans la vie est tel que,
si tu anéantis l’un de tes deux contraires, tu meurs.


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6 commentaires:

  1. On ne peut pas couper l'arbre en deux. Merci.

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  2. C'est ce que la chose permet qui donne sens et non la chose en elle-même !
    C'est ce que mon ex n'a pas compris ! Il accumule les choses sans qu'elles lui permettent quoi que ce soit, pire, ces choses ont détruit sa vie.

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    1. Tout se nourrit de tout : comme quoi, même les objets inanimés peuvent nous bouffer... la tête (qui, elle, est à l'envers)
      :(

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