La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

vendredi 22 mai 2020

Citadelle, ennui et cruauté (X)


Pour A. de St-Exupéry, l’ennui provient du manque d’activité sensée.
Comme vu, d’aller chercher son eau au puits donne sens à la vie,
alors que d’envoyer quelqu’un le faire à sa place ôte, à force, le goût de vivre.

Autre chose est de réussir l’ascension de la montagne,
ou, porté en litière, de rechercher de paysage en paysage la perfection.
Car à peine as-tu mesuré les contours de la plaine bleue,
que tu y trouves déjà l’ennui
et pries tes guides de te porter ailleurs.


Et te donnerais-je dix mille femmes que,
l’une après l’autre, tu les viderais aussitôt de leur vertu particulière,
et qu’il t’en faudrait bien plus encore pour te combler,
car tu es divers selon les saisons, selon les jours, selon les vents.

Au loin, la Citadelle de Jaisalmer - Rajasthan - Inde


Selon cet auteur, la matière sert à être transformée ; par exemple, de la terre faire un bol,
des poils de brebis faire de la laine puis un pullover, des pierres construire une maison, etc.
A. de St-Exupéry revient sur notre relation à la matière, aux objets,
aux avoirs (lire avec attention, car l’auteur y explique notre rapport malsain à la matière
et sa spirale infernale, ainsi que la vanité de vouloir modéliser les pratiques d’autrui) :

Car je vous transfigure le monde, comme de l’enfant ses trois cailloux,
si je leur attribue des valeurs diverses et un autre rôle dans le jeu.

Et la réalité pour l’enfant ne réside ni dans les cailloux ni dans les règles
qui ne sont qu’un piège favorable,
mais dans la seule ferveur qui naît du jeu.
Et les cailloux en sont en retour transfigurés.
(…)
Mais ceux-là qui ne tirent aucune saveur de leurs objets faute d’un empire qui les anime,
ils s’irritent contre ces objets mêmes.
« D’où vient que la richesse ne m‘enrichisse point ? » se lamentent-ils
et ils supputent qu’il ne convient que de l’accroître car elle n’était point suffisante.
Et ils en accaparent d’autres, qui les encombrent plus encore.

Et les voilà cruels dans leur irréparable ennui.
Car ils ne savent point qu’ils cherchent autre chose faute de l’avoir rencontré.
Ils ont rencontré celui-là qui se montrait tellement heureux de lire sa lettre d’amour.
Ils se penchent sur son épaule
et observant qu’il tire sa joie de caractères noirs sur page blanche,
ils ordonnent à leurs esclaves de s’exercer sur page blanche
à mille arrangements de signes noirs.
Et ils les fouettent de ne point réussir le talisman qui rend heureux.
Car il n’est rien pour eux qui fasse retentir les objets les uns sur les autres.
Ils vivent dans le désert de leurs pierres en vrac.

Mais moi je viens qui à travers bâtis le temple.
Et les mêmes pierres leur versent la béatitude.



Une façon d’exprimer le fond de notre problème de civilisés parasites :

Mais tu as tout désaimanté en défaisant ce nœud divin qui noue les choses.


Faux-moi, fausses motivations, fausses relations, faux espoirs, fausses idées sur le bonheur, etc. :

Et si l’expérience m’a enseigné que les hommes heureux
se découvraient en plus grande proportion dans les déserts,
et les monastères, et le sacrifice,

que chez les sédentaires des oasis fertiles ou des îles que l’on dit heureuses,
je n’en ai point conclu, ce qui eût été stupide,
que la qualité de la nourriture s’opposait à la qualité du bonheur,
mais simplement que là où les biens sont en plus grand nombre
il est offert aux hommes plus de chances de se tromper sur la nature de leurs joies

car elles paraissent en effet venir des choses
alors qu’ils ne les reçoivent que du sens que prennent ces choses
dans tel empire
ou telle demeure ou tel domaine.

Dès lors, dans la prospérité
il se peut que plus facilement ils s’abusent et courent plus souvent des richesses vaines.

Alors que ceux du désert ou du monastère, ne possédant rien, connaissent avec évidence
d’où leur viennent leurs joies, et sauvent ainsi plus aisément la source même de leur ferveur.

Mais il en est encore une fois ici comme de l’ennemi qui te fait mourir ou qui t’augmente.
Car si, reconnaissant sa véritable source,
tu savais sauver ta ferveur dans l’île heureuse ou l’oasis,

l’homme qui en naîtrait serait sans doute plus grand encore,
de même que d’un instrument à plusieurs cordes
tu peux espérer tirer un son plus riche
que d’un instrument à corde unique.



Ce qui nous motive n’est pas identique à ce vers quoi on se dirige,
il s’agit de distinguer l’un de l’autre.

L’auteur poursuit sur les limites de la raison :

Car tu crois que l’intérêt, le bonheur et la raison gouvernent les hommes.
Mais je t’ai refusé ton intérêt et ta raison et ton bonheur
car il m’a paru que simplement tu dénommais intérêt ou bonheur
ce vers quoi les hommes tendaient

et je n’ai que faire de méduses qui changent de forme,
quant à la raison qui va où l’on veut,
elle m’a paru trace sur le sable de quelque chose qui est au-dessus d’elle.
(…)
La raison écrit les commentaires, déduit les lois, rédige les ordonnances
et tire l’arbre de sa graine, de conséquence en conséquence,
jusqu’au jour où l’arbre étant mort, la raison n’est plus efficace
et il te faut une autre graine.



L’auteur revient sur nos contradictions :

Car ils sont obscurs tes besoins et incohérents et contradictoires.
Tu cherches la paix et la guerre,
les règles du jeu pour jouir du jeu
et la liberté pour jouir de toi-même.
(…)

(Tu cherches) L’amour construit dans la fidélité imposée,
et la découverte de l’amour hors de la fidélité.
L’égalité dans la justice, et l’inégalité dans l’ascension.

Mais à tous ces besoins en vrac comme une rocaille dispersée
quel arbre fonderas-tu qui les absorbe et les ordonne
et de toi tire un homme ?



Sur le sens des choses :

Ils trouvent les choses, comme les porcs trouvent les truffes.
(…)
Mais ils ne trouvent pas le sens des choses
parce qu’il n’est point à trouver

mais à créer.


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4 commentaires:

  1. L'ennui ? condition de celui ou celle qui est déconnecté de sa propre relation au monde... par d'autres chemins, les tiens, il me semble bien que tu dis ça aussi.

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  2. Hello, j'ai relu plusieurs fois mais maintenant je m'y accommode mieux. La conclusion est édifiante. On trouve ce que l'on cherche, on cherche ce que l'on trouve. Entre deux, ça chavire. Bon dimanche.

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    1. écho à un récent de tes collages... créer... création... créativité
      A + Thierry

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