La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

mercredi 6 juin 2018

Le cinquième rêve



Au début, le Grand Esprit dormait dans le rien.
Son sommeil durait depuis l’éternité.

Et puis soudain, nul ne sait pourquoi,
dans la nuit, il fit un rêve.
En lui gonfla un immense désir…

Et il rêva la lumière.
Ce fut le premier rêve. La toute première route.

Longtemps, la lumière chercha son accomplissement, son extase.

Quand finalement elle trouva,
elle vit que c’était la transparence.

Et la transparence régna.

Mais voilà qu’à son tour,
ayant exploré tous les jeux de couleurs qu’elle pouvait imaginer,
la transparence s’emplit du désir d’autre chose.
À son tour elle fit un rêve.
Elle qui était si légère,
elle rêva d’être lourde.

Alors apparut le caillou.
Et ce fut le deuxième rêve. La deuxième route.

Longtemps, le caillou chercha son extase, son accomplissement.

Quand finalement il trouva, il vit que c’était le cristal.

Et le cristal régna.
Mais à son tour, ayant exploré tous les jeux lumineux de ses aiguilles de verre,
le cristal s’emplit du désir d’autre chose, qui le dépasserait.
À son tour, il se mit à rêver.
Lui qui était si solennel, si droit, si dur,
il rêva de tendresse, de souplesse et de fragilité.

Alors apparut la fleur.
Et ce fut le troisième rêve, la troisième route.

Longtemps, la fleur, ce sexe de parfum,
chercha son accomplissement, son extase.
Quand enfin elle trouva, elle vit que c’était l’arbre.

Et l’arbre régna sur le monde.

Mais vous connaissez les arbres.
On ne trouve pas plus rêveurs qu’eux
(ne vous amusez pas à pénétrer dans une forêt qui fait un cauchemar).
L’arbre, à son tour, fit un rêve.
Lui qui était si ancré à la terre,
il rêva de la parcourir librement,
follement, de vagabonder au travers d’elle.

Alors apparut le ver de terre.
Et ce fut le quatrième rêve. La quatrième route.

Longtemps, le ver de terre chercha son accomplissement, son extase.

Dans sa quête, il prit tour à tour la forme du porc-épic,
de l’aigle, du puma, du serpent à sonnette.
Longtemps, il tâtonna.

Et puis un beau jour, dans une immense éclaboussure…
au beau milieu de l’océan… un être très étrange surgit,
en qui toutes les bêtes de la terre trouvèrent leur accomplissement,
et ils virent que c’était la baleine !

Longtemps cette montagne de musique régna sur le monde.

Et tout aurait peut-être dû en rester là, car c’était très beau.

Seulement voilà…
Après avoir chanté pendant des lunes et des lunes,
la baleine, à son tour, ne put s’empêcher de s’emplir d’un désir fou.
Elle qui vivait fondue dans le monde, elle rêva de s’en détacher.

Alors, brusquement nous sommes apparus, nous les hommes.
Car nous sommes le cinquième rêve, la cinquième route,
en marche vers le cinquième accomplissement, la cinquième extase.

Et ici, je vous dis : faites très attention !
Car, voyez-vous :
Dans la moindre couleur, toute la lumière est enfouie.
Dans tout caillou du bord du chemin, il y a un cristal qui dort.
Dans le plus petit brin d’herbe, sommeille un baobab.
Et dans tout ver de terre, se cache une baleine.

Quant à nous,
nous ne sommes pas le « plus bel animal »,
nous sommes le rêve de l’animal !
Et ce rêve est encore inaccompli…


‒ Légende amérindienne






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