La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

lundi 25 juin 2018

Exister avec un répertoire de moi (G XXVII)

Intro et rappel

Chacun, nous sommes, au quotidien, multiples (personnalité double,
triple ou quadruple faces, se formant à partir de nombreux « moi » ;
avec, toutefois, une prédominance de 2 à 6 « moi »).
Cela sous-entend que, entre nous, en société, nous sommes,
"jouons", divers personnages ; toujours les mêmes.

D'incarner diverses personnalités ne représente pas un problème en soi,
néanmoins le problème provient du fait de ne pas en avoir conscience,
c'est pourquoi nous sommes contradictoires, par exemple.

Ensemble, en société, nos personnalités inconsciemment doubles (ou plus)
ainsi que le fait que nos niveaux de conscience diffèrent entre les uns et les autres
‒ allant du sommeil hypnotique complet à un Éveil total ‒,
tout cela génère des différences d’appréhension du monde,
et de compréhension réciproque,
ce qui ne peut produire que de nombreuses et incessantes interférences relationnelles,
notamment communicationnelles.

Plus avant (ci-dessous), on risque d'être surpris lorsque G. I. Gurdjieff explique
qu'en parvenant à mieux se connaître et à maintenir une continuité en soi-même,
on peut alors "jouer" davantage de personnages, cette fois consciemment.


L'enseignement continue

Lors d’une réunion avec l’un de ses groupes de travail, G. I. Gurdjieff leur dit :
Tout le malheur vient de votre certitude d’être toujours identiques à vous-mêmes. 
Mais j’ai de vous une vision bien différente. Par exemple, je vois qu’aujourd’hui
un Ouspensky est venu ici, tandis qu’hier c’était un autre Ouspensky.
Quant au docteur – avant votre arrivée, nous étions ensemble tous les deux,
et nous parlions ; c’était un certain docteur.
Puis vous êtes venus.
Et il m’est arrivé de jeter un regard sur lui : c’était déjà un tout autre docteur.
Celui que j’avais vu quand j’étais seul avec lui, vous le voyez très rarement.
 
Réalisez bien ceci : chaque homme a un répertoire défini de rôles
qu’il joue dans les circonstances ordinaires.
Il a un rôle pour chaque sorte de circonstances où il se trouve habituellement ;
mais placez-le dans des circonstances légèrement différentes,
« pour un bref instant, il deviendra lui-même ».
(…)
Le répertoire de chaque homme est extrêmement limité.
Si un homme dit simplement « moi » et « Ivan Ivanovitch »,
il ne se verra pas lui-même tout entier, parce que « Ivan Ivanovitch » non plus
n’est pas seul ; chacun en a au moins cinq ou six : un ou deux pour sa famille,
un ou deux pour son bureau (l’un pour ses supérieurs et l’autre pour ses subordonnés),
un pour ses amis au restaurant, et un autre aussi, peut-être,
pour les conversations intellectuelles sur des sujets sublimes.
(…)
Mais voici le plus important : l’homme, en dehors de son répertoire,
c’est-à-dire aussitôt que quelque chose le fait sortir de sa routine,
ne serait-ce que pour un moment, se sent terriblement mal à l’aise,
et il fait alors tous ses efforts pour revenir au plus vite
à l’un ou l’autre de ses rôles habituels. Il retombe dans ses ornières, (…)
 
Mais dans le travail (de connaissance de soi), pour s’observer soi-même,
il faut absolument admettre cette gêne et cette tension,
et ne plus redouter ces états de malaise et d’impuissance.
Ce n’est qu’à travers eux qu’un homme peut réellement apprendre à se voir.
(…)
Chaque fois qu’un homme n’est pas dans un de ses rôles habituels,
chaque fois qu’il ne peut pas trouver dans son répertoire le rôle qui convient
à une situation donnée, il se sent comme un homme dévêtu. Il a froid,
il a honte, il voudrait s’enfuir, afin que personne ne le voie. (…)
Dans ses rôles habituels, il se sent à son aise et en paix.
 
Mais s’il veut travailler sur lui-même, il lui faut détruire sa paix.
Car le travail et la paix sont incompatibles.
L’homme doit choisir.
Sans se duper lui-même.
C’est ce qui arrive le plus souvent.
En paroles, il dit choisir le « travail »,
alors qu’en réalité il ne veut pas perdre sa « paix ».
Le résultat est qu’il s’assied entre deux chaises.
(…)

Et pourquoi est-ce si difficile (de commencer vraiment un travail) ?
Avant tout parce que « sa vie est trop facile »
(du fait de rester dans le connu et la routine,
en n'ayant recours qu'aux rôles que nous tenons habituellement ;
pour le dire autrement, nous restons dans un répertoire de « moi » contrôlables,
et nous nous y confortons, « même dans le malheur » a précisé Gurdjieff).

* * *

Comment savoir si on est prêt ou non pour le « travail » ?
G. I. Gurdjieff nous informe à ce sujet :
Cet enseignement a une propriété merveilleuse : le moindre contact avec lui
fait surgir du fond de l’homme le pire et le meilleur.
Vous connaissez quelqu’un depuis des années,
et vous pensez qu’il est un brave homme, plutôt intelligent.
Mais essayez donc de lui parler de ces idées,
vous verrez qu’il est un fou complet.
Un autre, en revanche, vous semblait un personnage assez peu intéressant,
mais vous lui exposez les principes de cet enseignement
et vous voyez aussitôt que cet homme pense, et qu’il pense même très sérieusement.
 
- Comment reconnaître les personnes capables de venir au travail ?
demanda l’un (des participants).
 
- (…) Vous devez comprendre en premier lieu que l’on doit avoir
une certaine préparation, un certain bagage. (…)
En général, lorsqu’un homme ne sait presque rien, lorsqu’il a peu lu, peu pensé,
il est difficile de parler avec lui.
(…)
Pour approcher cet enseignement d’une manière sérieuse,
il faut avoir été préalablement « déçu »,
il faut avoir perdu toute confiance, avant tout en soi-même,
c’est-à-dire en ses propres possibilités,
et, d’autre part, en toutes les voies connues.
(…)
Mais comprenez bien, je dis par exemple qu’un dévot doit avoir été déçu par la religion.
Cela ne veut pas dire qu’il ait dû perdre la foi. Au contraire.
Cela signifie qu’il a dû être déçu « seulement par l’enseignement religieux ordinaire
et par ses méthodes ». Alors il comprend que la religion,
telle qu’elle nous est donnée d’ordinaire,
n’est pas suffisante pour alimenter sa foi, et ne peut le mener nulle part.
(…) : il ne suffit pas qu’un homme ait été déçu par les voies habituelles,
il faut encore qu’il soit capable de conserver ou d’accepter l’idée
qu’il puisse y avoir quelque chose – quelque part.
(…)
Cet enseignement est pour ceux qui ont déjà cherché et qui se sont « brûlés ».


À lire attentivement,
la suite concerne le changement d’état d’esprit durant le « travail » :
Lorsque vous ne compreniez rien, vous pensiez tout comprendre,
ou du moins vous étiez sûrs d’avoir la faculté de tout comprendre.
 
Maintenant que vous avez commencé à comprendre,
vous sentez que vous ne comprenez pas.
C’est parce que vous avez acquis le « goût de la compréhension ».
Il vous était entièrement inconnu auparavant.
 
Et aujourd’hui vous éprouvez le goût de la compréhension
comme un manque de compréhension.

__________________________

6 commentaires:

  1. Eric,
    Tout un travail que de comprendre ce qu'il y a à comprendre tout en changeant de point de vue.
    Intéressant comme toujours.
    Thierry

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Comprendre, apprendre. Le goût de comprendre et le goût d'apprendre.
      Apprendre pour mieux comprendre (et pas uniquement avec l'intellect)...
      Changer de point de vue est important, comme prendre de la distance "zoom arrière" pour une vue d'ensemble, puis revenir sur les détails, etc.
      Salut Thierry

      Supprimer
  2. s’adapter alors, ce qui est plus ou moins dur ou compliquer, perso je choisi souvent le plus simple ...
    https://www.youtube.com/watch?v=2ut7YBdTeqo
    @ ++ :))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. S'adapter, oui, mais pas à n'importe quoi, hein ;)
      S'adapter consciemment...
      Tout est simple, au fond.
      Bon, j'vais écouter la muse, vaut mieux.
      Ciao Cres

      Supprimer
  3. Je suis d'accord faire simple peut être compliqué...
    Je dis vous mon chef et pourtant il est cool lol ;)) par contre voir la situation, je pardonnerai plus facilement a ma famille qu'au pote et ne parlerai surement pas pareil a un enterrement qu'a un mariage (bon je m'arrête avant de dire trop de connerie)
    Sur ce Ciao Eric :))

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. :))
      Il y a des choses qu'on peut pardonner, d'autres non,
      que ce soit à la famille ou aux potes...
      J'm'arrête
      ;)

      Supprimer