La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

dimanche 11 août 2019

Les adaptés de demain



- Oy, ça roule ma poule ?

- Pfff, pas trop, non. Je rentre d’un entretien avec une conseillère en insertion professionnelle
et elle m’a pris la tête.

- Oh mec, tu prends les choses trop à cœur. Laisse-la parler et voilà.

- Elle a prétendu être "à l’écoute" et m’a parlé de « partenariat ». Ce qui m'a fait sourire,
genre j'y crois. Je lui ai dit ce que je pensais de ce monde et de ma difficulté à vouloir participer
à ce que j’estime être malsain. Elle l’a joué compréhensive, « oui, y a des choses qui ne vont pas »,
a-t-elle dit, en ajoutant « mais il faut s’adapter et agir pour améliorer ces choses ».


- C’est le mot à la mode du moment : s’adapter. C’est vicieux car que répondre à ça ? Puisque,
effectivement, on doit s’adapter. C’est une loi naturelle. Tout animal et même végétal
qui ne s’adapte pas crève, sur cette planète. De toute façon c’est nul, car on veut s’adapter
avec la tête, or c’est le corps qui s’adapte. Par exemple, on s’est adapté à manger des produits
plein de pesticides et à respirer un air cancérogène (selon l’OMS). Cela s'est fait tout seul,
à notre insu. C’est donc n’importe quoi de dire « il faut s’adapter ».

Tu lui as répondu quoi à la meuf ?

- Spontanément, j’ai répondu « oui, bien sûr, mais à quoi doit-on s’adapter ? »
Et ça lui a coupé la chique. Mais elle a vite rebondi en disant un truc genre
« on peut faire en sorte de changer ce qui ne va pas tout en travaillant. »


- Purée ! Elle reste coincée sur sa position et, probablement, sur ce qu’elle prend pour son devoir
de bonne citoyenne responsable et respectable.


- Ouais. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience que son approche n’est qu’une technique :
d’abord elle te met à l’aise, te fait croire qu’elle te comprend, tout en t’amenant
là où elle veut t’amener. Ceux qui ont plié l’échine veulent que tu plies aussi la tienne.
Ils te méprisent de résister. Ils sont tellement persuadés d’avoir raison.


- C’est pas des travailleurs sociaux mais des manageurs sociaux.

- L’a raison Christophe Dejours : les travailleurs deviennent des collaborateurs du mal,
sans même s’en rendre compte, rien qu’en participant, c’est-à-dire en s’adaptant
notamment aux nouvelles consignes et règles.
Tout ça pour recevoir un salaire misérable à la fin du mois.


- Heureusement que des personnes refusent de s’adapter à ce monde pourri.

- Je me dis que l’humain devrait être capable d’adaptation en mobilisant son esprit critique,
quitte à perdre son emploi et ce, afin de ne pas participer à l’ignominie. Cela éviterait
ce qu’il s’est passé notamment à France Télécom/Orange.
On ne devrait pas accepter certaines choses.
Sans esprit critique, on devient des petits soldats obéissants et on participe pleinement
à l’anéantissement des valeurs, de la qualité de vie, de l’environnement naturel, etc.


- C’est sûr, la plupart n’exerce pas leur esprit critique, préférant se persuader que nous progressons,
que c’est l’unique façon de vivre, et que nous sommes civilisés, intelligents.


- Je crois que depuis quelques années, décennies, nous sommes en train de fabriquer des monstres,
une nouvelle race d’êtres humains en quelque sorte.


- Tu veux dire quoi ?

- Ben, regarde : les insectes pollinisateurs sont en voie de disparition
alors que les moustiques, au contraire, prolifèrent et deviennent de plus en plus résistants.
Les virus et bactéries résistent aux antibiotiques, devenant toujours plus forts.
Ce n’est qu’un exemple, mais toutes nos découvertes scientifiques,
depuis les débuts de l’industrialisation, semblent renforcer les pires formes de vie
au détriment des autres.


- Wah, ça craint ce que tu dis.

- Yep. Idem avec les humains. Par exemple, les migrants qui sont parvenus en Europe,
ils ont traversé, pour la plupart, un véritable enfer ; c’est-à-dire qu’ils sont maintenant traumatisés,
comme mutilés intérieurement. Pour l’instant, ils se reprennent, contents d’être ici, en paix.
Ils se trouvent un job et apprécient le calme. Mais une fois qu’ils tomberont dans la routine et l’ennui,
comment réagiront-ils ? Et comment vont-ils gérer leurs traumatismes ?
Pour ces personnes, la mort, la torture, le viol, tuer, sont des actes banals.
C'est maintenant inscrit en eux. Même en certains enfants, ceux qui ont vu la violence
et ceux qui y ont participé, je pense aux enfants-soldats. Que deviendront-ils ?


- Ce que tu dis me fais penser à un vieux film, Taxi driver, où le protagoniste revenu de guerre
vit ce que tu dis. Lui canalise toute sa violence et les horribles images intériorisées,
de ses traumatismes, en aidant une pute jouée par Jodie Foster.


- C’est ça. Le réalisateur s’est probablement posé cette question : que vont devenir
les soldats traumatisés et, surtout, comment vont-ils évolué dans cette société
embourgeoisée de l’incivilité tolérance zéro ?

Des monstres, nous avons créé des humains habitués au pire, au sang, à la douleur
et à la souffrance tant physique que psychologique.
Il suffirait de peu, d’une étincelle, pour que ces âmes torturées retrouvent le goût du sang
et de la violence, parce que ça fait monter l’adrénaline... C'est stimulant...


- Bordel, c’est flippant ! D’autant que même parmi la police y'a de ces dingues, comme ceux
s’inscrivant dans des partis d’extrême-droite ou ceux s’en donnant à cœur joie
de tabasser même des vieux durant les manifestations.


- Beaucoup de bourgeois sont préservés, ne sachant pas grand-chose de la douleur,
de la souffrance. Des personnes suivent une psychothérapie parce qu’elles ont déçu
leur père, par exemple. Que feront-elles lorsqu’elles se retrouveront
face à des individus impitoyables, prêts à t’arracher un bras ou les tripes
pour obtenir ce qu’ils veulent ? Comment s’en sortiront-elles lorsque la police
sera complètement dépassée par les événements et ne pourront plus les protéger ?


- Merde, plutôt que s’adapter, ne faudrait-il pas se préparer au pire ?

- Bonne question, mec.


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3 commentaires:

  1. Le verbe s'adapter se conjugue à tous les temps surtout en ce moment et parfois de manière plus qu'imparfaite.

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  2. Un truc me vient : je répète que "s'adapter" n'est pas une affaire cérébrale.
    Par contre, le fait d'accepter ou non une situation peut aider ou, au contraire,
    empêcher le corps de s'adapter.
    En n'acceptant pas une situation, on rentre en lutte (intérieure) et cela, pour le moins,
    freine l'adaptation qui, elle, je le répète, s'effectue sans le concours de notre pensée
    (une bactérie ou un moustique ne pensent pas, pourtant ils s'adaptent à nos produits chimiques de merde...)

    "Il faut s'adapter" = on se demande bien qui ça arrange et qui en tire profit...
    ;)

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