La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

jeudi 1 août 2019

Le rôle du Mat

Dans une contrée qui pourrait ressembler à la France, il fut un temps où
autant le peuple que le Roi et sa Cour vivaient dans la joie et la prospérité.

Les Roi et Reine étaient des personnes simples, justes et tolérantes.
Le couple royal se sentait heureux de constater que, dans leur royaume,
l’existence y était douce et agréable pour chacun.

De l'agriculteur à l’artisan, du commerçant au chevalier, du berger au ministre,
chacun avait le sentiment de pouvoir s’épanouir à son gré,
en menant son existence de façon digne et honorable.
Chacun s’y sentait à sa place et utile à la communauté, quelle que soit sa fonction.
Chacun y mangeait à sa faim, en disposant de son logement.

L’humain étant envieux, jaloux, passionné, colérique et, souvent, brutal,
il s’y déroulait certes des querelles et autres histoires glauques.
Néanmoins, l’ordre et la justice régnaient. Le Roi y veillait.

Au château vivait également un Mat, le bouffon de la Reine,
qui était particulièrement railleur. Son esprit était vif comme l’éclair
et sa parole, forte et déstabilisante comme un coup de tonnerre.
Il ne pouvait s’empêcher de faire ressortir les défauts des gens,
surtout de ceux/celles se prenant au sérieux ou se croyant importants.
Il repérait leurs failles et révélait les faux-semblants, les non-dits.
Il n’avait pas son pareil pour dévoiler les secrets honteux.
Face à ce personnage, on se sentait comme mis à nu.
Plusieurs de la Cour le détestaient, prétendant qu’il était sans foi ni loi.
En fait, en leur intériorité, la plupart le craignait.

La Reine appréciait sa compagnie, étant elle-même une personne intègre.

Cette année-là fut difficile.
Il tomba peu de pluie au printemps, puis l’été avait été très chaud, étouffant.
Les récoltes étaient décevantes. Tous avaient les nerfs en pelote.
Comble de malheur, la Reine mourut en mettant au monde son troisième enfant.

Le Roi était désespéré, malheureux, déprimé pour la première fois de sa vie.
Ses conseillers lui suggérèrent de se remarier, mais le Roi ne pensait qu'à son épouse défunte.

Durant une longue et froide nuit de janvier,
le Roi, triste, resta dans son appartement pour dîner.
Il voulait rester seul. Il ne supportait plus son entourage.
Les affaires politiques l'ennuyaient et les distractions ne le distrayaient pas.



Le bouffon, qui avait disparu depuis le décès de la Reine, réapparut ce soir-là.
Le premier ministre lui fit comprendre qu’il n’était pas le bienvenu.
Les autres convives opinèrent et déversèrent leur haine sur le Mat.
Ce dernier, implacable, remis chacun à sa place, ce qui faillit lui coûter la vie,
si le premier chevalier du Roi n’avait point été présent pour rappeler à chacun
que seul sa Majesté pouvait disposer de la vie du bouffon.

Le Roi en fut avisé par son majordome.
Il demanda à ce que le bouffon vienne le rejoindre dans son salon.

- Où étais-tu ?, demanda le Roi, lorsque le bouffon se présenta.
- Ma souffrance, je ne puis la partager ni l’exposer.
Votre épouse me manque, lui répondit le Mat.
- Comment oses-tu ?, s’offusqua le Roi.
Sire, je ressens votre souffrance, ne ressentez-vous point la mienne ?
- Comment peux-tu mettre en parallèle ma souffrance et la tienne ?
Qu’était-elle pour toi ? Juste une protectrice ?
Qu’étais-tu pour elle ? Juste son amuseur, un passe-temps.
- Elle était ma mie, Sire, ne vous en déplaise. L’Amour est grand et multiforme.
- Ton amie ? La Reine ? Tu es présomptueux, bouffon, s’écria le Roi.
- Votre majesté, le cœur de la Reine était grand, noble et généreux.
Ce n’est pas uniquement votre épouse qui a disparu,
mais l’esprit même du royaume, se lamenta le Mat.
Offusqué, le Roi se leva.
- Que dis-tu là ?
, gronda le Roi.
- Ne saisissez-vous pas ? La Reine vivifiait l’âme de cette contrée, expliqua le bouffon.
- Et moi, que suis-je donc ?, s'écria le Roi.
- Vous représentez les jambes et les bras, le cerveau ordonnateur et calculateur.
Comprenez, Sire, que l’homme cherche et trace la voie à coups de machette,
mais c’est la femme qui permet d’en apprécier tous les aspects.
- Où veux-tu en venir, mécréant ?, fulminait le Roi.
- Que de pleurer sur votre sort n’arrangera pas les affaires du royaume,
qu’il vous faut maintenant vous soucier de toutes les âmes qui le peuplent.
Vos ministres profitent de votre état pour ne plus penser qu’à leurs intérêts...
- Silence ! Le Roi lui coupa la parole, ou je te livre à leur vindicte.
- Aimiez-vous la Reine pour elle-même, Sire,
ou l’aimiez-vous parce qu’elle vous faisait du bien ?
- Gardes !, explosa le Roi offusqué et maintenant en colère.
Enfermez ce luron dans un cachot.

On ne vit plus le bouffon depuis ce funeste soir.

Les ministres s’en réjouirent.

Le malheur s’abattit sur toute la contrée.
Les affaires du royaume périclitèrent.
Les complots à la Cour affaiblirent l’influence du Roi.
Le Roi, souvent sur les nerfs, envisageait des guerres
afin d'agrandir le territoire et de remplir les coffres.
Plusieurs ministres se laissèrent corrompre, d'autres démissionnèrent,
et de nouveaux ministres ambitieux et incompétents les remplacèrent.
Les gouvernants en profitaient pour instaurer de nouveaux impôts.
Ces derniers s'enrichissaient à outrance et menaient la grande vie.
Parmi les gens du peuple, certains avaient à peine de quoi manger,
d'autres perdaient jusqu'à leur logement.
Certains commencèrent à mendier.
L’injustice et les iniquités se répandirent.
Les gendarmes se multipliaient afin de garantir la sécurité des riches.


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