Désemparés

S’emparer de quelque chose.

Puis, s’en désemparer.

S’emparer, se désemparer, ...

Mouvement comme celui de la respiration.

Mais on ne veut plus que s’emparer.

Maudites imagination et pensée

qui, telles des putains, se vendent au plus offrant.

Sans s’accrocher au passé ni craindre le futur,

sans elles on vivrait l’instant pulsant,

au jour le jour, en faisant face à ce qui arrive,

sans préoccupation ni désir ni crainte ni agenda

ni idéal ni ambition ni volonté de réussir pour plaire.

Elles ont produit la sensation de manque et les excès,

et on ne parvient plus à se sentir rassasié et satisfait.

Insatisfait, on veut jouir vite, davantage,

et acheter des plaisirs en promotion.

Désemparé face à sa peur du manque.

Le manque, n’est-il pas dû à une idée abstraite

concernant ce dont on aurait besoin pour être heureux ?

On pense qu’on va manquer de… et on ressent de la contrariété. Frustration.

On n’accepte pas de manquer. On veut davantage pour être sûr de ne manquer de rien.

Pourtant, le manque est moteur, stimulant, motivant ;

alors que l’excès malmène les corps et esprit.

Pour remédier à la peur infondée du manque,

et contrer l’imprévisible pouvant nous ôter ce que l’on possède,

on s’empare, s’approprie, empile, amasse, comptabilise davantage.

On a une maison, un terrain de X hectares, une piscine, une voiture

et des comptes en banque, des actions, des assurances-vie. Bientôt un jet privé.

Néanmoins, se sentir tout autant désemparé, las, triste, déprimé, vide à l’intérieur.

Alors on bouffe, boit, baise, en se droguant. Et l’âme s’étiole.

Le cœur endurci et perverti, le corps se déforme, grossit,

pendant que la tête s’aliène de se croire supérieure.

On veut posséder plus de pouvoir sur autrui

et on abuse des désespérés et fauchés.

Orgies sur leurs dos en les méprisant.

Oh, on le fait pour la famille.

Pour nos enfants.

Que l’on déteste par ailleurs, en vérité.

On ne supporte pas ses mômes dans l’intimité, mais on ne le dit pas.

Au contraire, on prétend tout faire pour eux, s’être sacrifié pour eux, pour ces ingrats.

Ils ne deviennent pas comme on le voudrait et agissent contre notre désir.

Chez soi, c’est devenu infernal, disputes incessantes et irrespect.

L’autre insulte, nous traite comme si on était de la merde,

alors que sans moi, le conjoint ne serait rien du tout.

Ce serait si simple si les autres étaient comme moi, moins cons.

Bah, au moins on mourra en sachant que tout restera dans la famille.

À moi. Tout à MOI. Grâce à moi. Tout sous contrôle. Tout sécurisé.

On l’a obtenu en travaillant plus et mieux que les autres.

On est plus intelligent et malin que les autres.

On mérite davantage que les autres.

On pense mieux que les autres.

Envie de meurtres.

C’est à se suicider.

D’ailleurs, peut-être ne mourra-t-on pas ?

Qu’est-ce qu’ils foutent les transhumanistes ?

Ne pas mourir et trouver la pilule du bonheur.

Être éternellement heureux, entre gens solvables.

Vivre toujours jeune, avoir, faire, et baiser davantage.

On s’est emparé de tout sur cette planète maintenant désolée,

alors on rêve d’aller s’emparer des ressources des autres planètes.

On fuit ce qu’on s’imagine cauchemar : être désemparé.

N’est-ce pas normal d’être désemparé face à l’inconnu ?

Ce monde, l’univers, le futur, ne représentent-ils pas l’inconnu ?

Vanité et démence de prétendre et vouloir le contraire.

Impensable et inimaginable est cet univers,

que certains veulent pourtant contrôler.