La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

jeudi 24 août 2017

Concile intérieur

- Ouvrons la porte !

- Non !

- C’est bon maintenant.
Tu ne crois pas qu’on a suffisamment attendu,

qu’il est temps de passer à autre chose ?

- Pas encore. Ce n’est pas le moment.
Nous ne sommes pas prêts.


- Pas prêts ? Et quand le serons-nous ?
Comment saurons-nous que nous le sommes ?

- Les choses et opportunités se présentent d’elles-mêmes.
Il ne sert à rien de vouloir les bousculer, les provoquer.
Et on en a suffisamment subies, des souffrances, non ?
La plupart du temps à cause de ton impatience à mettre en place des idées.
Maintenant qu’on est tranquille, tu veux sortir. Pour quoi faire ?
Pour nous déstabiliser dans une ambiance dépourvue d’âme ?


- Tu vieillis Instense,
et t’as besoin de t’activer davantage.
Pense à tes muscles, à tes articulations.
J’ai besoin de nouvelles données à compiler,
de me sentir stimulé, occupé par des informations.
Marre de rester entre nous. Marre de me limiter.
Je crois que nous sommes prêts
mais que tu restes accroché au train-train.
Je veux de la nouveauté et des "news".

- Vouloir est une affaire mentale.
C’est comme un désir construit à partir d’idées.
T’as besoin de données ? Eh ben, ressasse et affine,
t’en as pas suffisamment entassées ?


- Tu sais que ma fonction est de compiler,
d’analyser, de remanier. Nouvelles données,
nouvelle représentation.
Et je veux des relations, des confrontations.

- Tu veux aimer et être aimé,
selon ton idée romantico-intellectuelle.
Le concept d’aimer n’est pas l’action d’aimer.
Il existe un satané décalage entre le mot et le vécu,
tu devrais le savoir, maintenant.


- Ouf ! Tu me gaves grave avec ta philo.
Sans désir, on n’aurait rien fait, rien connu, que de la routine.
Sans volonté, on serait resté dans le giron de môman et pôpa.

- Peut-être, au contraire, aurions-nous vécu une vie
sans avoir entretenu d’idée préalable à ce sujet.
Tu sembles oublier que quelque chose agit également de l’univers,
que des forces extérieures, cosmiques, influencent nos comportements.
Regarde donc les animaux.
Ont-ils un désir préalable ? Ils n’y pensent pas.
Quand ils ressentent un besoin ou que ça leur démange, ils se rencontrent.
Ils sentent les choses, ce qu’il faut faire quand il faut le faire.
Et non seulement l’univers nous influence,
mais aussi notre propre système, la société,
en plus de s’imiter les uns les autres.


- Oh zut. On ne s’en sortira pas.
Tu freines et nous rends inertes, atones.
Ce n’est pas en restant sédentaire dans une tanière
que tu vas sentir quoi que ce soit.
Et toi, Emol, qu’en penses-tu ?

- Euuh, moi ?
Je note ce que vous dites.
De toute façon, vous ne m'écoutez pas.

- Pulses-tu encore ?

- Beenn ?
Oui, je crois, j’espère.

- Est-il temps d’ouvrir
et de passer cette porte ?

- J’écoute vos propos,
mais ne parviens pas à me décider.

- Ne décide pas, donne juste ton avis,
n’est-ce pas ton rôle que de tempérer ?

- D’un côté, la prudence et la patience,
mais aussi les habitudes à la fois rassurantes et aliénantes.
D’un autre côté, l’impatience et la volonté d’agir,
selon des idées et possibilités formatées.
Tes idées ne nous ont attiré que déconvenues, Cérébrol.
Tes calculs nous ont mené dans ce cul-de-sac,
en lequel nous stagnons aujourd’hui.
Instense a raison sur ce point.
Nous aurions dû l’écouter.

- Mmouais.
Dis, Emole,
n’as-tu pas envie de rencontres,
de partager avec d’autres ?

- Oh que oui !
Mais j’ai peur,
non pas des êtres,
mais du revêtement égotique qu’ils portent.
Ils se prennent tant au sérieux qu’ils en deviennent
dangereux et méchants, sans même s’en rendre compte,
et, pire, en croyant bien faire ! Ils ne s’écoutent pas, des experts le font pour eux.
Et ils sont susceptibles. Ils réagissent par rapport au dernier survenu,
semblant dépourvus de continuité mémorielle.

- Et voilà. On n’est pas prêt.
Patientons tout en restant actifs.
Nous sommes bien maintenant,
et avons adopté un rythme qui me…, euh,
qui nous convient, pour l’instant,
malgré quelques mauvaises habitudes.


- Oui, patience. Tu sais bien Cérébrol,
attendons de savoir qui nous sommes.

- Qui nous sommes ?
Ah ah ah, la bonne blague.
Et qui sait qui il est, dans ce monde ?
La plupart des gens s’en fiche éperdument
de savoir qui ils sont, comment ils fonctionnent
et comment fonctionne le monde.
Tant qu’y a à boire et à manger.
Pas vrai Instense ?

- Oh oui, oui,
et quelques biens de côté, banques et assurances.
T’as raison, Cérébrol, mais tu sais que dans notre cas…


- Instense parle juste.
Quelque chose s’est enrayé,
il nous faut patienter.

- Je plie.
Deux contre un.
Il ne reste plus qu’à espérer qu’on ne meure pas,
d’ennui, las et figé d’attendre,
mes circuits et neurones rouillés.

- Je reconnais que c’est aussi ma crainte,
j’ai l’impression de m’étioler et de devenir indifférent.
Pas grand-chose ne me touche.
C’est inquiétant par moments.

- Je me sens comme une guitare abandonnée dans un coin,
sans personne pour lui gratter les cordes.
Néanmoins j’ai faim,
alors,
on s’prépare à manger ?


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4 commentaires:

  1. Oh là, là, exactement mon discours intérieur en ce moment mais tu rajoutes l'angoisse en plus ! :(
    je viens de préparer à manger sans en avoir envie, juste un besoin, surtout pour grand.

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    1. Lol (pour le repas), c'était bon j'espère (ça va te faire drôle quand il sera plus là la semaine).

      L'angoisse, vaste sujet.

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    2. Oui, ça va me faire drôle, bon, le midi je ne suis pas à la maison je mange avec mes collègues, c'est le soir que ça va me faire bizarre. je vais pouvoir manger n'importe quoi ! ;)
      les angoisses, c'est terrible, ça prévient pas et c'est complètement irraisonné...

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    3. Irraisonné, irraisonnable (difficile d'intellectualiser à ce sujet),
      mais pas sans raison, souvent...

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