La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

vendredi 7 juillet 2017

Leurre d'art

Sur Internet émergent un nombre incroyable d’artistes en tous genres.
C’est comme si ce support virtuel avait désinhibé les artistes timides.
Depuis que je blogue, fin 2010, je découvre beaucoup de blogs
notamment de poètes, photographes, peintres, musiciens, etc.

Mais au fait, qu’est-ce que l’art, au juste ?
Est-ce que l'art a une fonction spécifique, un rôle ou autres ?

Comment se fait-il qu’un tableau de Van Gogh vaille énormément,
alors que le tableau que j’aime bien du voisin ne vaut pas un kopeck ?

Qui, que, quoi, décide : ceci est art, ceci a telle valeur, cela n’en a pas ?

L’art, devrait-il contenir du sens ou juste être bien fait (selon les normes et mode du moment) ?

Selon G. I. Gurdjieff, ce serait notre relation à l’art,
à la culture (point commun avec la « Mère Culture » de D. Quinn),
qui participe activement à notre déconnexion du réel et du bon sens,
en nous rendant simples spectateurs passifs de spectacles ou œuvres vides de sens,
tout en générant de la confusion dans nos esprits binaires et contradictoires.

Actuellement, les arts ne servent plus qu’au lancement de nouvelles modes.

De se cantonner à n’être que spectateur passif engendre une paresse « êtrique »,
de quoi résulte que nous ne sommes plus capables de raisonnement objectif.

Remontons le temps avec G. I. Gurdjieff :
à Babylone, du temps de sa splendeur, des savants de toutes les régions y résidaient.
Certains d’entre eux pensèrent les arts (musique, danse, théâtre, peinture,
sculpture, etc.) en ayant un but, une intention :
celle d’enseigner au plus grand nombre et aussi, de transmettre
des "choses" essentielles du passé aux générations futures.
Cette forme d’art provoquait des résonances chez les spectateurs.
De la sorte, le public allait assister à des représentations artistiques
afin d’étudier et de comprendre ce que transmettait l’œuvre (ou le spectacle) exposée.
C’est-à-dire qu’il était attendu, implicitement, des gens
qu'ils produisent quelques efforts pour saisir le message de l’œuvre mise en avant ;
œuvre qui laissait des impressions aux êtres,
ce qui stimulait les gens à utiliser leur « pensée associative ».
(Je comprends que les arts étaient censés faire résonner des « choses » essentielles en nous-mêmes,
ce qui était pédagogique et avait pour but que chacun parvienne à penser de façon individuelle,
ce qui permet de progresser en intelligence).

G. I. Gurdjieff donne un exemple de véritable art,
d’une sculpture qui existe encore aujourd’hui : le sphinx.
Il a écrit à ce sujet : (…) Cette statue (le Sphinx) (…) était l’emblème de la société ;
et elle portait le nom de « Conscience ». (…)
Chacune des parties de cette figure allégorique provoque,
dans les trois parties indépendamment associatives de leur présence générale,
c’est-à-dire dans le corps, la pensé et le sentiment, un choc déterminant (…)

Le tronc de cet être allégorique, représenté par le torse d’un taureau,
signifie que les facteurs cristallisés en nous et qui suscitent en notre présence
des impulsions funestes, aussi bien héréditaires que personnellement acquises,
ne peuvent être régénérés que par un labeur acharné,
pareil à celui auquel est particulièrement apte, entre tous les êtres de notre planète, le « taureau ».

Et que ce torse soit fixé sur les pattes d’un « lion » signifie que ce labeur doit s’effectuer
avec la conscience et le sentiment de hardiesse et de foi en sa propre « puissance »,
la puissance étant la propriété que possède au plus haut degré,

entre tous les êtres de la planète, le propriétaire de ces pattes – le puissant lion.
Et les ailes du plus fort des oiseaux, de celui qui vole le plus haut, l’« aigle »,
fixées au torse du taureau, rappellent constamment (…) que, dans ce labeur,
et pendant l’activité intérieure de ces propriétés psychiques d’appréciation de soi-même,
il importe de méditer sans arrêt sur les questions qui ne concernent point les manifestations
directement requises pour l’existence êtrique ordinaire.

Quant à l’étrange image de la tête de notre être allégorique,
figurée sous la forme des « seins de vierge », elle signifie que toujours et en tout,
dans les divers fonctionnements, intérieurs aussi bien qu’extérieurs,
provoqués par notre propre conscience, doit prédominer l’« amour » (…)


G. I. Gurdjieff ajoute que nous avons encore un art véritable,
celui des danses sacrées (comme en pratiquent les soufis, par exemple).
Remarque : nous avons une œuvre réellement artistique : le Tarot (de Marseille).
Mais bien peu de gens saisissent l’apport de ce support de Connaissance, d’Eveil.

Pour revenir à Babylone, des savants pervertirent peu à peu l’art,
tout d’abord en le singeant, en imitant les œuvres et spectacles,
sans en comprendre la substance, l'essence, la portée, ni la pédagogie.
Puis, au fil du temps,
les spectacles ont servi à exposer des modèles d’existence à suivre.

Après ce résumé,
voici ce que pense G. I. Gurdjieff de notre relation au soi-disant art.


Un conseil en préambule : lire le propos qui suit d'une traite, sans essayer de le comprendre.
Ensuite, laisser reposer. Respirer. Puis se demander : qu'a voulu faire passer l'auteur ? Que dit-il ?
Laisser se former en vous des impressions et associations, venir des images et pensées...
Après, si le propos résonne en vous, relisez le texte, pourquoi pas à voix haute.
G. I. Gurdjieff écrit avec de longues phrases, à sa façon. C'est dur de le suivre,
d'autant qu'il utilise son propre vocabulaire.
Il s'adresse de la sorte directement à nos 3 cerveaux,
c'est pourquoi on ne peut pas lire cet auteur en ne mobilisant que notre intellect,
comme on le fait d'habitude. Ne vous en faites pas l'inconscient, lui, capte...
Je le répète : le mieux est de ne pas chercher à comprendre,
mais de parvenir à maintenir son attention, en passant d'une phrase à une autre,
afin de ne pas perdre le fil (car l'auteur, lui, ne le perd pas).
A savoir : un être tri-cérébral désigne un humain
L'adjectif "êtrique" se rapporte à l'être profond
.

(…) les êtres tri-cérébraux (…), auxquels ce mot (art),
pour une raison ou pour une autre, avait plu,
en firent peu à peu cette « chose » qui, sans cesser d’être, comme on dit,
d’une « futilité absolue », s’est revêtue à la longue d’un extérieur féerique,
lequel rend définitivement « aveugles »
(les humains) qui lui prêtent un peu plus d’attention que d’ordinaire.
(…)
(les humains) de la civilisation contemporaine se rassemblent très fréquemment
en leurs « théâtres », en groupes assez importants, afin d’observer – et soi-disant d’étudier –
les diverses manifestations préméditées de ceux qu’ils nomment, depuis peu, des « artistes » (…)

(A Babylone, les savants pratiquant de l’art se faisaient appeler) des « orphéistes ».
Ce vocable était formé de deux racines distinctes, exprimant alors deux notions
qui se traduiraient de nos jours par les mots « juste » et « essentiel » ;
quand on appelait quelqu’un ainsi, cela signifiait qu’il « ressentait l’essence avec justesse ».
(…)
A mon avis (celui de Belzébuth), leur coutume de se rassembler au théâtre (…)
s’explique par le fait que ces théâtres contemporains, avec tout ce qui s’y passe,
répondent par hasard au mieux à la présence générale, anormalement constituée,
de la plupart des êtres tri-cérébraux actuels, qui ont complètement perdu le besoin (…)
de manifester en tout leur propre initiative, (…)

Dès le début de la vogue de leurs théâtres, ils s’y rassemblaient (…)
non pour regarder et étudier les interprétations de leurs « artistes contemporains »,

mais uniquement pour satisfaire (…) (leur besoin) de « parader ». (…)
Du fait de cet étrange besoin, ils n’éprouvent de satisfaction qu’à la seule vue
de l’étonnement provoqué chez les autres par leur aspect extérieur,
arrangé exactement selon les exigences de ce qu’ils appellent là-bas la « mode »,
funeste coutume (…) devenue de nos jours l’un des facteurs êtriques
dont l’automatisme ne leur laisse plus ni le temps, ni la possibilité de voir et de ressentir la réalité.

Cette coutume qui leur est si funeste consiste à modifier périodiquement
la forme extérieure de ce qu’on appelle « le voile de leur nullité ».

Il est intéressant de remarquer ici que, (…) les modifications apportées à ce « voile »
devinrent le privilège de ceux des êtres des deux sexes
qui s’étaient déjà rendus « dignes » d’être candidats hassnamouss.

Sous ce rapport, les théâtres actuels conviennent parfaitement (…),
attendu qu’il leur est très commode et facile d’y montrer aux autres – comme ils aiment à le dire –
leurs « coiffures ébouriffantes », ou le « nœud dernier-cri » de leur cravate,
ou encore le « décolleté avantageux » (…) ; en même temps ils peuvent y admirer
les nouvelles « créations de la mode », lancées selon les toutes dernières indications
de ces fameux candidats hassnamouss.

Quant (aux) « artistes » contemporains, (…) ils sont atteints de « dramaturgite » (…)
et ils se mettent à « chercher midi à quatorze heures » sur le papier, ou, comme on dit là-bas,
à « composer » diverses « œuvres théâtrales ».

Comme sujet de ses œuvres, il (un artiste) choisit à l’ordinaire divers événements
soi-disant arrivés dans le passé, ou qui pourraient peut-être se produire dans l’avenir,
à moins qu’ils n’appartiennent tout simplement à l’« irréalité contemporaine ».

(…)
Dès lors, si l’être atteint de cette maladie (un auteur dramaturgiste) a pour oncle
un membre de quelque parlement, ou s’il a fait la connaissance de la veuve d’un ancien
« homme d’affaires », ou encore si, pour une raison ou une autre,

il a passé le temps de sa préparation à l’âge responsable dans une ambiance
et des conditions telles qu’il y ait acquis automatiquement la propriété
appelée « s’insinuer sans savon », il arrive que les « directeurs », ou,
comme on les appelle encore, les « propriétaires de brebis »,
lui retiennent sa « pièce », et ordonnent à leurs « artistes »
de la représenter exactement telle que l’a raffinée cet être
atteint de l’étrange maladie de la « dramaturgite ».
Ces artistes actuels commencent tout d’abord par interpréter cette œuvre entre eux,
sans témoin. Et cela jusqu’à ce que leur « interprétation » corresponde exactement
aux indications données par le malade, ainsi qu’aux ordres du « directeur » ;
lorsqu’ils sont enfin parvenus, sans aucune participation de leur propre conscient
ni de leur sentiment, à se convertir en ce qu’on appelle des « mannequins vivants »,
ils se font alors aider de ceux d’entre eux qui ne sont pas encore devenus de tels « mannequins »
– ce qui leur vaut le titre de « régisseurs » – et ils recommencent, sous leur directions,
les mêmes exercices, mais cette fois en présence d’autres êtres ordinaires,
rassemblés en ces fameux théâtres contemporains.

(…)
Or, depuis qu’ils mènent ainsi leur existence quotidienne, en fréquentant ces théâtres actuels,
pour y suivre les absurdes manipulations de leurs artistes contemporains,
(ils) reçoivent là toutes sortes de chocs successifs, éveillant des réminiscences d’images
non moins absurdes et non moins insensées, déjà perçues auparavant,
et qui déclenchent en eux, bon gré, mal gré, pendant leur état de veille,
des associations êtriques plus ou moins supportables ; et de retour à la maison,
lorsqu’ils vont se coucher, ils dorment beaucoup mieux que d’habitude.

Mais bien que ces (spectacles) se soient révélés un excellent moyen
d’améliorer le sommeil – pour aujourd’hui seulement, bien entendu ! –

les conséquences objectivement funestes qu’ils entrainent pour les êtres
– et surtout pour les adolescents – n’en sont pas moins innombrables.
Le plus grand des torts que ces théâtres leur font est de constituer en eux
un facteur supplémentaire pour la destruction définitive de toute possibilité d’éprouver
ce besoin propre aux êtres tri-cérébraux, qui se nomme « besoin de perceptions réelles ».

Et cela, avant tout, en raison des circonstances suivantes :
Lorsque, tranquillement assis dans leurs théâtres, ils considèrent
toutes les « manipulations » et manifestations, absurdes mais variées,
de leurs artistes contemporains – bien qu’ils se trouvent en leur état de veille habituel,
toute association, aussi bien « spéculative » qu’« émotive »,
continue à s’effectuer dans leur présence exactement comme elle le ferait
pendant leur période de complète passivité, ou sommeil.
(…)

Entre autres aspects de la malfaisance de leur art contemporain,
l’un des plus évidemment ignorés, mais des plus nuisibles (…),
à l’égard de la possibilité d’acquérir ce qu’on appelle un « être individuel » conscient,
est l’irradiation des actuels « représentants de l’art » eux-mêmes.

Cette irradiation maléfique devient peu à peu là-bas l’apanage ou l’attribut spécifique
des représentants de toutes les branches de leur art (…)

(En Occident) qui est actuellement le lieu principal de leur « existence cultivée »,
non seulement les êtres placent intérieurement ces artistes contemporains sur le même niveau qu’eux,
mais ils en sont venus à les prendre pour modèles en ce qui regarde leur extérieur,
et aujourd’hui ils les imitent en tout.

(…)
Bien qu’en fait ils (les artistes et comédiens) soient presque, de par leur essence véritable,
ce qu’on appelle des « zéros » (…) à force de répéter toujours et partout
leurs exclamations favorites, dans le genre de « génie », « talent », « don »
et quantité d’autres expressions aussi vides qu’ils le sont eux-mêmes,
ils finissent par se convaincre qu’ils sont les seuls à être « d’origine divine »,

qu’ils sont les seuls à être des « demi-dieux ».


G. I. Gurdjieff insiste sur le fait que, de nos jours (livre écrit durant les années 1930),
l’art, qu’il soit musical, théâtral, pictural, etc., nous empêche de penser par nous-mêmes
et d’avoir nos propres impressions sur le monde réel (naturel).
Il est devenu une distraction nuisible pour notre être profond,
pour l’éventuel germe de notre âme.
Que penserait-il de la TV et d’Internet ? Des smartphones omniprésents ?

En résumé :

(…) depuis que (les humains) ont tout à fait cessé de réaliser consciemment
en leur présence générale (des efforts, en se confrontant à la souffrance volontaire) (…)
leurs cerveaux distincts,
dont les associations respectives se déroulent de manière tout indépendante,
suscitent désormais en une seule et même présence générale
trois impulsions êtriques d’origine diverse,

ce qui fait qu’en eux se forment peu à peu, pour ainsi dire,
trois personnalités qui n’ont entre elles rien de commun – ni besoins, ni intérêts.
(…) Aussi éprouvent-ils presque toujours plusieurs émotions simultanées (…)
De là cette constante particularité de leur présence générale, selon laquelle,
s’ils se disposent, avec l’une des parties de leur essence, à vouloir une chose,
au même instant la seconde partie en désire une toute différente,
tandis que la troisième leur en fait faire une autre,
qui va à l’encontre des deux premières.

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3 commentaires:

  1. Eric,
    Pointu. Je ne pige pas tout, ça m'échappe ne partie, je relirai, mais ça m'a bien remis le cerveau en place de me concentrer sur ton text.E Merci !
    Thierry

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    1. Ouvrant pour la 4e fois ce livre, forcément il me devient un petit peu plus accessible.
      En très bref : si l'art, sous quelque forme que ce soit, n'"exprime" rien d'important, il n'est que vanité. L'art sert à transmettre des "choses" de l'essence et du juste (orphéiste).
      Si l'oeuvre ne peut être appréciée que par l'intellect, elle nous aliène.

      Vénérer certains arts creux en imitant le style de vie des artistes devient carrément malsain pour notre psychisme, car nous ne pensons plus par nous-mêmes, avec l'entièreté de notre personne...

      Notre art actuel nous sert du "tout cuit" (comme les repas à glisser au four micro-onde) et il ne véhicule que des modèles et modes de vie à suivre. Or nous sommes influençables et suggestibles, et fonctionnons par imitation et de façon répétitive... L'art doit donc, également, briser la routine mécanico-automatique de notre fonctionnement, ceci avec l'espérance d'ouvrir d'autres portes, horizons, et avec le but de se perfectionner et de transmettre des moyens, au travers de l'art...

      A toute Thierry (peut-être que tu comprendras pourquoi j'apprécie tant tes collages : ils interpellent, et pas seulement notre intellect...)

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    2. Eric,
      Merci pour le décryptage. Y a vraiment pleins de choses à lire !
      Bonne soirée.

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