La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

dimanche 22 décembre 2019

Hospitalité et chaleur humaine


Juin 1986

Après être sortis du territoire helvétique – un merveilleux petit pays elfique propre, ordonné et bien agencé,
contrôlé poliment et sécurisé sérieusement pour rassurer les nombreux riches politiquement corrects –,
avec ma compagne nous avons traversé la France et l’Espagne.
Nous avons parcouru une sacrée distance sur les routes nationales avec une vieille Citroën Acadiane break,
dans laquelle nous vivions.
Dans cet espace confiné, nous avions plaisir à dormir collés l’un contre l’autre.
Nous avons trouvé à chaque étape de l’eau pour nous laver, en rivières, lacs de barrage
ou, au pire, dans les toilettes d’un café. Nous préparions nos repas, en nature.
Nous nous sentions libres et heureux.




Nous sommes arrivés en terre portugaise par le Sud, l’Algarve.

Dépaysement total, perte de repères garantie.

Excitation des voyageurs en mal d'aventures, d’un ailleurs qui serait meilleur.

De prime abord, nous avons trouvé le pays un peu désolé, les terres arides et ses habitants pauvres.
Sur la route, nous croisions de vieilles et rares voitures, ainsi que des ânes poussant des charrettes,
avec leur maître allant à pied, un bâton à la main et un chapeau usé sur la tête.

En souriant, je m’imaginais des ânes se déplaçant sur les routes suisses.

Nous nous sommes arrêtés vers une piscine avec toboggans géants.
Nous avons bien rigolé, tout en nous rafraîchissant le corps.
Malencontreusement, à un moment mon pied a mal amorcé un virage.
Ouïlle, nom d'une Grenade, aïe. Monstre douleur.
Une entorse. Pied et cheville sont devenus comme ceux d’un éléphant.
Je pouvais à peine poser le pied. Je souffrais, mais je suis parvenu à conduire,
mon amie n’ayant pas le permis de conduire.

Des kilomètres et kilomètres plus tard, le bout du monde !
Enfin, le bout de l’Europe en tout cas, mais cela nous a fait l’impression d’avoir atteint le bout du monde.
À moins de devenir matelot et de posséder un gros bateau, plus moyen d’aller plus loin.
Hautes falaises, puissant océan, force du vent et soleil brûlant.
C’était superbe, impressionnant, intense.




Un jour, avec la voiture-tortue, je me suis engagé sur un sentier de terre-sable
dans l’idée de rejoindre une plage immense, sauvage, environ cent mètres plus bas.
Le sentier devenait de plus en plus sablonneux.
Je me suis entêté genre « tout va bien, on ne risque rien, la 2CV est tout-terrain ».

Tout-à-coup, enlisement total. Impossible d’avancer ni de reculer, avec la falaise sur un côté.
Nous avons craint que la voiture ne bascule dans le vide. Nous étions bien ennuyés.

Bien que, en bas, la plage était quasiment déserte, il y avait des gens regroupés.
Plusieurs personnes semblaient préparer un buffet pique-nique.

Nous avons crié, ma compagne hurlant des mots en espagnol.
Entre le vent, les mouettes et les goélands, ainsi que le bruit des vagues,
nos voix ne portaient pas loin. Nous avons insisté. Ho hé !

Quelques personnes ont entendu, levé la tête.
En hurlant et gesticulant nous tentions de leur faire comprendre notre situation
en montrant la voiture, en espérant de l’aide.
Tous nous ont regardé, curieux. Certains riaient.
Quelques hommes ont commencé à gesticuler et à crier.
Leurs gestes nous invitaient à descendre pour les rejoindre.

Surpris et intrigués, nous ne savions que faire.
Mon amie, sociable, me dit « on y va ? »
Moi, plus sauvage, de répondre « tu crois ? »
Elle de trancher « allez, vamos ».

Elle devant, moi appuyé sur un bâton, suivant clopin-clopant avec ma patte folle,
nous avons rejoint le groupe de portugais.

En approchant de ces personnes simples, d'apparence plutôt pauvres,
ma compagne leur a expliqué notre situation, en espagnol.
Les hommes dodelinaient de la tête en signe de « non », pas d’aide.
En portugais et par gestes, ils nous ont expliqué qu’ils allaient maintenant manger.
Nous avons adopté l’attitude genre « cool, on comprend, ben zut, dommage pour nous ».

Les femmes ne prêtaient plus attention à nous, trop affairées à dresser la table, les plats, etc.
Les enfants jouaient et riaient, en se courant après.
Les hommes continuaient de parler, en langue incompréhensible pour moi.
Mon amie me traduisit : « ils nous invitent à partager leur repas
car il faut d’abord manger pour prendre des forces
et seulement après, fournir des efforts
 ».
Je n'en revenais pas, ils acceptaient de nous aider si nous partagions leur repas !
« Asseyez-vous », décrétèrent les indigènes.

Hop, à peine assis sur un tabouret pliable que nous avions un verre dans une main.
Avec bonne humeur, nous nous sommes présentés et eux aussi, ils étaient du coin.

Ils se montrèrent curieux de notre périple.

Ils étaient fiers de nous parler de leur terre, de leurs vies.

Deux mode de vie différents se rencontraient.

Nous avons mangé tous ensemble, légèrement grisés par l'alcool,
sur un nuage de franches rigolades.

Se laisser aller à recevoir, à prendre, à partager ;
à être avec des étrangers tout en se sentant à l'aise comme avec des proches !


Après le repas, le café, quelques rots de satisfaction,
mais juste avant l’envie d’une sieste,
nous avons entendu un gars clamer : « on y va maintenant ».

Nous avons suivi docilement les hommes.

En haut de la falaise, selon la proposition de l’un d’eux, je me suis mis au volant.
En deux temps trois mouvements, la voiture était dégagée.

Nous avons remercié chaleureusement nos humbles hôtes et sauveurs,
qui sont redescendus aussitôt sur la plage, en riant.

Nous avons crié et sauté en envoyant des baisers gestuels pour saluer ceux restés en bas.

D’abord en reculant pour retrouver la route,
nous avons ensuite poursuivi notre aventure, tout sourire et le ventre bien tendu.

Rencontre de cœurs. Spontanéité. Hospitalité. Générosité.

Sentiment de reconnaissance de notre part.


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10 commentaires:

  1. https://www.youtube.com/watch?v=GdHBZZDWB5k
    Et hop, c'est donne le sourire...
    Prends soin de toi et tes proches :)))

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    1. ♪ ♫ oui, c'est ça (morceau de Danakil) ♪ ♫ :)) ♪ ♫
      Ciao, portes-toi bien et... ♪ ♫ décroches ton étoile ♪ ♫
      ;)

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  2. J'aime tant ces histoires de vie, elles nous laissent des souvenirs indélébiles.
    Danakil, ça me plait ;) c'est mon "petit" qui me l'a fait découvrir.
    Je vous embrasse les gars.

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    1. ;) oui, des souvenirs agréables, gravés, qui ont le don de raviver le sourire
      et de réchauffer le coeur même des dizaines d'années après...
      Big Smack is kissing you, Saby

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  3. Une bien jolie histoire qui devrait arriver tous les jours ! ça devrait être aussi simple, facile et gai ! :D Tu m'as donné le sourire !

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    1. ;) Big Smack (the Big Brother enemy) is kissing you too, Vi

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  4. "Se laisser aller à recevoir, à prendre, à partager... " voilà la devise obligatoire de notre monde hyper pressé !
    Joli conte de Noel, merci Eric pour le partage ;) Bonne journée.

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    1. :)) Je vote pour cette devise !
      Merci à toi, Big Smack is with you

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  5. https://www.youtube.com/watch?v=vdlbzOLR_OI
    Passe de bonne fête :)))

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    1. Merci, agréables jours de... "farniente" (?) à toi
      ;))
      Pas pu voir le clip : "vidéo privée"
      :o

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