La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

vendredi 5 juin 2020

Citadelle, vanité (XIII)


L’orgueil justement estimé (Paul Diel parlait de « fierté légitime ») n’est pas vanité :

Je condamne ta vanité, mais non pas ton orgueil,
car si tu danses mieux qu’une autre,
pourquoi te dénigrerais-tu en t’humiliant devant qui danse mal ?

Il est une forme d’orgueil qui est amour de la danse bien dansée.

Mais l’amour de la danse n’est point amour de toi qui danses.
Tu tires ton sens de ton œuvre,
ce n’est point l’œuvre  qui se prévaut de toi.
Et tu ne t’achèveras jamais, sinon dans la mort.
Seule la vaniteuse se satisfait, interrompt sa marche pour se contempler,
et s’absorbe dans son adoration d’elle-même.
Elle n’a rien à recevoir de toi, sinon tes applaudissements.
Or nous méprisons de tels appétits, nous, éternels nomades de la marche vers Dieu,
car rien de nous ne nous peut satisfaire.
La vaniteuse a fait halte en soi-même, croyant que l’on a pris visage avant l’heure de la mort.
C’est pourquoi elle ne saurait plus rien recevoir ni rien donner, précisément à la façon des morts.

L’humilité du cœur n’exige point que tu t’humilies
mais que tu t’ouvres.
C’est la clef des échanges.
Alors seulement tu peux donner et recevoir.
Et je ne sais point distinguer l’un de l’autre ces deux mots pour un même chemin.

L’humilité n’est point soumission aux hommes, mais à Dieu.
Ainsi de la pierre soumise non aux pierres mais au temple.
Quand tu sers c’est la création que tu sers.
La mère est humble vis-à-vis de l’enfant et le jardinier devant la rose.
(…)
Je me suis librement avancé (au devant de la vaniteuse), car nul au monde n’a barre sur moi.
Mais tu te trompais sur mon appel, car tu as lu dans mon appel ma dépendance :
je n’étais point dépendant. J’étais généreux.
Tu as compté mes pas vers toi,
ne te nourrissant point de mon amour mais de l’hommage de mon amour.
Tu t’es méprise sur la signification de ma sollicitude.
(…)
De même que je soignerai l’infirme pour le guérir, non pour le flatter :
j’ai besoin d’un chemin, non d’un mur.

Tu prétendais non à l’amour mais à un culte.
Tu as barré ma route.
Tu t’es dressée sur mon chemin comme une idole.
(…)
Je ne suis ni idole à servir, ni esclave pour servir.



Attention au perfectionnisme, apprendre de nos erreurs :

Bien vaniteux les justes qui s’imaginent ne rien devoir aux tâtonnements,
aux injustices, aux erreurs, aux hontes qui les transcendent.

Ridicule le fruit qui méprise l’arbre !

 
Bleue vieille ville et citadelle de Jodhpur - Rajasthan - Inde



En vrac, quelques derniers extraits de Citadelle, de A. de Saint-Exupéry :

(…) haine de l’arbitraire permanent car il ruine le sens même de la vie,
lequel est durée dans l’objet même de ton échange.

Ils se croient enrichis, d’augmenter leur vocabulaire.

Car je suis fatigué des mots qui se tirent la langue
et il ne me paraît point absurde de chercher dans la qualité de mes contraintes
la qualité de ma liberté.

Je ne fonde point le respect de l’homme sur le partage vain de provisions vaines
dans une égalité haineuse.


Car tu n’es que voie et passage
et ne peux réellement vivre que de ce que tu transformes.
(…)
Mais tu as tout détruit et tout dilapidé, ayant perdu le sens de la fête,
et croyant t’enrichir de distribuer tes provisions au jour le jour.

Car tu te trompes sur le sens du temps.

Sont venus tes historiens, tes logiciens et tes critiques.
Ont considéré les matériaux et,
de ne rien lire au travers,
t’ont conseillé d’en jouir.

Et tu as refusé le jeûne qui était condition du repas de fête.
(…)
Et tu ne conçois plus qu’il soit un instant qui vaille ta vie,
aveuglé que tu es par ta misérable arithmétique
.


Vaine est ta justice provisoire car elle n’est que d’un étage.
Et il faut choisir.
Les matériaux changent de signification en passant d’un étage à l’autre.


Si je veux juger le chemin, le cérémonial ou le poème,
je regarde l’homme qui en vient.
Ou bien j’écoute battre son cœur.


Guesthouse à Jodhpur



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