Saleté d'écolos

Dix-sept manifestants débarquèrent des fourgons.
Garde-à-vue.

Nerveux, Majid, l’un des manifestants,
attendait dans un bureau plutôt sordide.

Un fonctionnaire entra d’un pas vif.
Il se mit à marcher de long en large, sans un regard vers Majid.

Le policier demanda d’un ton sec :
- Tu fais quoi dans la vie, à part manifester et semer la pagaille ?
- Etudiant en sciences po.
- Pourquoi tu restes pas chez toi à étudier, bien sagement, hein, l’écolo ?
- …

D’un air agacé, le flic prit la chaise, s’assit bien en face de Majid
et, le fixant droit dans les yeux, lui dit :
- Ne joue pas au malin avec moi. Je pose des questions et tu réponds.
Compris ?
Majid soutint le regard de l’homme,
alors qu’un flot de sensations, de sentiments et de pensées se bousculaient en lui,
le tout mêlé d'anxiété. Il avait les entrailles nouées.
- Compris, oui, chef, se surprit à répondre Majid.
- J’sens que ça va bien se passer entre nous, l’écolo.
T’as pas autre chose à foutre que de provoquer le désordre ?
- J’suis pas écolo, murmura Majid.
- Parle plus fort, et tu faisais quoi alors avec ces gens ?
Majid le fixa, en pensant que le flic paraissait décontenancé. Il expliqua :
- Je ne suis pas un écolo au sens politique du terme.
J’comprends rien à la politique.
Que ce soit de droite ou de gauche, c’est toujours pareil.
Maintenant, c’est le monde des finances qui commande, et voilà.
Qu’est-ce que ça change ? Rien, ça continue, en pire.
J’ai le souci de l’écologie, oui, parce que je ressens l’amour de la Terre,
des âmes, de toutes formes de vie, et des paysages aussi.

Le fonctionnaire avait détourné les yeux.
Il se sentait de plus en plus agacé en constatant
combien il avait peu d’emprise et de motifs à mettre en avant.

Il s’en tint à un interrogatoire de routine : nom, adresse, etc.

Après une demi-heure, il se sentait las, et en colère.
Il passa le relais à ses collègues, sa journée était finie.
Il s’en fut chez lui, dans un état d’esprit morose.

Durant la nuit, le fonctionnaire fit un rêve étrange,
un cauchemar dans lequel il fuyait dans une forêt, poursuivi,
mais ce sont les arbres qui l’attrapèrent et le dépecèrent, lentement,
avant qu'il ne se réveille en criant.


Le lendemain, notre policier-chef, énervé, reprit son service.
Il but le café avec ses collègues, en train de blaguer.

Après avoir dormi dans une cellule puante,
à côté d’un chiotte-lavabo,
Majid fut emmené dans le bureau.

Le fonctionnaire entra.
Majid, en levant la tête et en le regardant, dit spontanément :
- Nuit difficile, on dirait.
- Ecoute, ici c’est moi qui tiens les rênes. Vu ?
Majid hocha de la tête pour acquiescer. Il dit encore :
- J’aimerais contacter un avocat.

Ils se regardèrent longuement.
Le policier hésitait entre une envie de l’étrangler ou de le torturer.
Il décida de sortir de cette pièce, en claquant la porte.

Majid respira profondément,
il avait le coeur qui battait comme dix tambours.

Le chef rejoignit son collègue :
- Putain de merde, j’fais ce boulot pour pourchasser des salopards,
pas pour emmerder de jeunes amoureux des arbres.
Fait chier. J’les laisse partir.
- Ouais, j’trouve aussi qu’on en fait trop, lui répondit son subordonné.
- Ok, tu passes le mot. On ne garde que les deux "piercés" néo-punks.
Possible qu’ils aient été envoyés par un parti politique pour semer le désordre.
On va les cuisiner encore un peu.

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