La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

dimanche 12 janvier 2020

Ah leurre


Voici quelques extraits du  Livre des leurres  de E. Cioran, écrit vers 1936.
Comme quoi,
l’essentiel évolue beaucoup plus lentement que l'éphémère forme des apparences.
(Les présentation et mises en caractères gras sont de mon fait)

J’ai trop souffert pour que certains bonheurs ne me soient insupportables.
Nos regards et rapports au monde deviennent excessivement abstraits, virtuels,
détachés  des événements naturels  (se déroulant sans intervention de l'humain),
ce qui a pour conséquence de nous éloigner de nous-même ‒ du Soi  en soi-même ‒,
et aussi de nous éloigner les uns des autres.
Et le sentiment d'isolement fut.
On accumule, on triomphe, on gagne et l’on combat pour échapper à soi-même,
pour vaincre la souffrance de n’être au fond que soi-même.
(…)
Le sentiment de solitude croît à mesure que grandit le sentiment d’irréalité de la vie.

Depuis le jour où la vie a voulu être plus qu’une simple potentialité
et s’est actualisée dans des individus,
la crainte de l’unicité et la peur d’être seul sont nées (...)

Concernant les douleurs et souffrances, E. Cioran précise et distingue à juste titre :
Ceux qui soutiennent qu’ils se sont libérés des tourments par des préoccupations objectives,
n’ont pas connu la véritable douleur
mais seulement quelque inquiétude spirituelle passagère,
qui n’avait ni profondeur ni fondement organique.

Certains hommes sont nés pour supporter les douleurs de ceux qui ne souffrent pas.
(…)
Car les hommes ne connaissent le plus souvent que des douleurs approximatives,
des douleurs venues de l’extérieur,
nulles en comparaison des douleurs liées à l’individualité,

à la structure de l’existence, individuelle par nature.

Plus l’existence de ce monde paraît illusoire,
plus la souffrance comme compensation devient réelle.
(…)
Aussi l’homme a-t-il le privilège de pouvoir mourir à tout moment
en renonçant à cette illusion de vie qu’il entretient.

L’inquiétude qui fait suite à la souffrance
maintient l’homme dans un état de tension
qui lui interdit désormais la médiocrité.

Qu’est-ce qui nous fait nous sentir seuls, isolés ?
Quel est l’origine de nos solitudes si ce n’est un amour qui n’a pu s’épancher ?

De quoi se sont-elles nourries sinon de tout cet amour emprisonné en nous ?

Se sentir tiraillé entre la vie et l'esprit, a écrit E. Cioran :
Toute l’infortune de l’homme est de ne pouvoir se définir par rapport à quelque chose de précis,
de manquer de point stable et de repère dans l’existence.
Son va-et-vient entre la vie et l’esprit les lui fait perdre tous deux ;
aussi est-il un rien qui aspire à l’existence.
(…)
Son penchant pour la décadence n’est-il pas révélateur de son essence ?
La plupart des hommes tombent dans la déchéance, peu s’élèvent.
Et rien n’est plus affligeant de voir comment.
Ce n’est pas seulement le fait de voir dans leur aboutissement notre avenir qui nous afflige,
mais surtout de constater la présence constante de la corruption dans son essence.
Tout le processus de décadence n’est qu’un détachement progressif de l’existence ;
non pas un détachement par la transcendance, par le sublime ou le renoncement,
mais par une fatalité pareille à celle qui jette à terre le fruit pourri de l’arbre.

Toute décadence est une déficience au sein de l’existence et une perte d’existence,
de sorte que la solitude de l’homme est à la fois solitude du rien et solitude de l’être.


Comment vivons-nous, comment a-t-on appris à fonctionner ?
Nous apprenons à vivre seulement par réactions.

Comment reconnaître l’adversité, l’ennemi ?
(…) fuyez ceux qui vous ferment les routes de l’être.

En plus d'un intellectuel, E. Cioran fut également un être sensible :
Mon âme s’afflige devant ce monde où les hommes vivent
pour se rendre tour à tour malheureux.
Comment peuvent-ils encore respirer après avoir semé la désolation ?

Notre élan de vie se confronte au besoin d'y réfléchir ;
et d’y réfléchir, encombré d’un idéal, bloque l’élan de vie.
L'énergie de l'élan de vie se trouve ainsi détournée et utilisée
pour réussir un plan stratégique d’existence civile ambitieuse.

Ce que préconise E. Cioran, pour s’épanouir et oser être :
Que notre élan soit si fort que son irruption nous empêche de penser.
(…)

Car si les pensées naissent des vides de la vie,
c’est lors d’un manque d’enthousiasme qu’elles se libèrent.
Qu’au contraire,
notre enthousiasme soit irrésistible et entraîne dans ses remous la pensée.


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6 commentaires:

  1. "Mon âme s’afflige devant ce monde où les hommes vivent
    pour se rendre tour à tour malheureux.
    Comment peuvent-ils encore respirer après avoir semé la désolation ?"
    Je crois bien que je me poserai cette question toute ma vie !
    "Nos regards et rapports au monde deviennent excessivement abstraits, virtuels,
    détachés des événements naturels (se déroulant sans intervention de l'humain),
    ce qui a pour conséquence de nous éloigner de nous-même ‒ du Soi en soi-même ‒,
    et aussi de nous éloigner les uns des autres.
    Et le sentiment d'isolement fut." Oui, l'isolement mais aussi l'indifférence. Je constate de plus en plus que mes élèves deviennent insensibles par rapport aux autres et vivent pour eux sans se préoccuper des autres, la preuve, certains de mes élèves après plus de quatre mois d'école ensemble, ne connaissent toujours pas le prénom des autres enfants !

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    1. Oui, isolement et indifférence.
      Inquiétant ce que tu décris :(
      A + Vi

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  2. https://www.youtube.com/watch?v=lnZe9u6TjCw

    L'humain mets de la bouffe sous clé et après dans les poubelles voila ou en ai !!!!
    Les poches vide le cœur plein !!!
    Métissez moi tus ça !!!
    Bip Bip ;))

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    1. ♪ ♫ que vivent les français ♪ ♫

      ... poubelles sécurisés, pour pas que les démunis viennent prendre.
      :)) le coeur plein, métissons
      Biiiiiip

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  3. Très riche ton texte, pleins de choses à dire. T'as raison, plongeons dans la vague du remous des pensées plutôt que de surfer dessus.

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