Aimer à programmer

- Qui es-tu ?

- Cela dépend de ton regard, de ton état d’esprit,
et de ton besoin de contrôler la situation.
Je puis être ton cauchemar ou ton rêve.
Je représente le plaisir et la satisfaction de réaliser ton idéal relationnel
ou sinon, un reflet dérangeant de ta vérité redoutée.
En ce moment je te réfléchis un espoir, apparemment.

- Mmouuaiiiis. Je veux que ça continue encore, toujours.
C’est la première fois que je vis une journée pareille.
Je me sens si bien.
Et toi ?

- Je me sens bien.

- Viens vivre chez moi, tu veux ?

- Le jeu de reflets devient équivoque,
la scène commence à se brouiller,
et le rêve peut muter en cauchemar pour l’un, ou pour les deux.

- Putain, tu parles comme un illuminé.

- J’veux dire que c’est notre volonté de posséder l’autre comme on posséderait une voiture
qui gâche souvent l’ambiance.

- Tu n’m’aimes pas ?

- Ouh, tu sors les grands mots,
la demande qui enferme dans une certitude
aussi rassurante qu’une caméra surveillant le carrefour de routes.

- Pfff… C’est comme ça que tu perçois l’amour ?

- Regardes, là, j’aime cet oiseau venu se poser sur ce rocher,
qui, curieux de notre présence, s’est rapproché pour nous regarder.
Se demande-t-il qui nous sommes,
ce que nous faisons comme travail et combien on gagne d’argent ?
J’aime sa façon insouciante, saine et instinctive, de vivre son existence.
J’aime son chant sans plainte ni attente ni espoir.
J'aime son plumage, sa silhouette, sa façon de jouer avec l’autre oiseau qui l’attend plus loin.
J'aime le fait qu’il me laisse être comme je suis, pendant que j’apprécie sa façon d’être
sans vouloir me l’approprier ni vouloir le changer en autre chose ni chercher à l’améliorer.
Maintenant l’oiseau s’envole, et je poursuis mes activités, le cœur réjoui.
Lorsque la relation est respectueuse entre les uns et les autres, l’amour s’invite.

- C’est pas pareil.

- Ah non ?
Cet oiseau va et vient à son gré ;
néanmoins, si je l’attrapais pour le mettre dans une cage à moi,
mon désir de le détenir chez moi deviendrait un cauchemar pour l’oiseau.
Les personnes qui achètent un oiseau comme on achèterait une bougie,
ce n’est pas tant l’oiseau qu’ils aiment,
mais l’idée de le posséder, de l’avoir à leur merci, de le contrôler
en se persuadant que l’oiseau privé de sa liberté va les aimer en retour (!)
parce que ces tortionnaires de propriétaires lui ont donné quelques graines achetées, de l’eau,
parce que sa cage payée cash est si jolie, avec une balançoire et une vraie branche d’arbre.
Sécurité pour l’oiseau garantie à vie, ce qui agace le gras chat vacciné et castré.

- Faut qu’j’y aille, j’dois faire plein de trucs avant d’aller bosser. J’aimerais te revoir,
passer à nouveau une journée avec toi.

- C’est que tu es tant occupé, tu as tellement de choses importantes à faire...
On prend rendez-vous ?

- Va te faire foutre.


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