La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

samedi 27 juillet 2019

La honte

Voici des extraits d’un essai de Serge Tisseron intitulé « La honte, psychanalyse d’un lien social ».

Notons que le titre du livre de Serge Tisseron évoque le problème :
le sentiment* de honte touche au « lien social », soit : à notre façon d’être en relation avec les autres.


Définition de la honte

Selon S. Tisseron, la honte est un sentiment qui témoigne que le lien d’attachement est rompu
ou qu’il menace de l’être.

Le dénominateur commun des diverses formes de honte consisterait
dans une rupture d’investissements (intérieurs comme extérieurs).
Ainsi, le caractère commun à toutes les hontes est l’angoisse d’être exclu,
c’est-à-dire non seulement la crainte d’un retrait d’amour, mais même de toute forme d’intérêt.

La honte résulte bien souvent du fait que l’individu se trouve empêché d’exprimer
des sentiments normaux, tels que la colère et la révolte.

Commentaire : être empêché d’exprimer sa colère est donc malsain,
n’en déplaise aux civils tolérance zéro du politiquement correct.

Pour un enfant, les situations d’injustice ponctuées d’injonctions du type « tu devrais avoir honte » provoquent la confusion chez la victime, qui finit par ne plus comprendre le motif de sa confusion.
La honte fonctionne alors comme un corps étranger
introduit dans le psychisme de la victime
.


NB : S. Tisseron a écrit « dans les situations d’injustice » car, autrement (et selon moi),
l’enfant est capable de gérer des remarques déplaisantes, pour autant
qu’elles soient justes
et donc, en relation avec son comportement
(je veux dire que si l’enfant fait quelque chose de honteux et que son parent le lui dit,
il est capable de l’entendre sans que cette remarque ne le plonge dans la confusion).

Un enfant peut s’approprier et s’identifier à la honte des parents.
C’est-à-dire que l’enfant va prendre sur lui la honte qu’éprouve l’un ou les deux parents (identification et imitation), alors que l’enfant n’est pas concerné directement par le survenu honteux. Dès lors,
il va éprouver souvent ce sentiment sans qu'il n'en connaisse la(es) raison.
Il va grandir, se développer et se former avec ce sentiment !

La honte est l’affect maître du secret.
Plus précisément de quelque chose qui doit rester caché
parce que sa divulgation porterait atteinte à quelqu’un.
(Dans l’exemple familial : admettons que le père souffre d'un sentiment honte.
Bien sûr, il n’en parle pas, mais l’enfant le ressent. L’enfant se l’approprie
et il se retrouve piégé par le secret du père. C’est terrible, non ?)

La honte éprouvée est parfois celle d’un autre que le sujet a installé à l’intérieur de lui.

La honte peut être attachée tantôt à des objets et des situations du passé
(sentiment),
et tantôt à des situations vécues présentement
(émotion).

(…) la honte ressentie de façon continue (…) devient un symptôme :
l’individu tout entier est frappé à travers l’estime de lui-même (…)
jusqu’à envisager de disparaître totalement.


De façon générale, en société, S. Tisseron a noté que :
La honte est contagieuse.

Voilà une des techniques efficace qu’utilisent les manipulateurs ainsi que les pervers :
Susciter la honte à quelqu’un (c’est-à-dire attaquer, blesser, l’estime d’une personne)
permet de le maintenir sous son emprise.


Les fonctions positives de la honte

Éprouver de la honte est tel un signal d’alarme. Dans ce cas, cette émotion se révèle saine.

La honte « signal d’alarme » est un régulateur du lien social servant à :
- trouver la bonne distance relationnelle ;
- réguler les gestes ;
- organiser la circulation des regards.
La honte est en quelque sorte un signal que le moi se donne.

La honte comme signal d’alarme porte sur la perception d’un déséquilibre.

La honte préserve des risques d’assujettissement total à un autre.

Ressentir la honte nous renseigne sur les limites à ne pas franchir,
celles au-delà desquelles nous risquerions de ne plus être assuré de faire partie de notre famille,
de notre groupe, voire de la communauté humaine dans son ensemble.

Il s’agit d’accepter cette émotion, de la revendiquer et d’en parler.
En quelque sorte, valoriser la honte.


Description des symptômes

La honte est à comprendre comme un moment de confusion
qui porte en lui-même la nécessité de réaménagements, tant internes qu’externes.

La honte entraîne comme réponse soit la révolte soit la résignation.
Pour contrer ce sentiment, le sujet révolté peut développer une ambition grandiose
ou un sentiment de toute-puissance ou de dénégation (déni) ;
quant au sujet résigné, il souffrira de tendances autodestructrices ou de dépression ou d’apathie.

La honte est difficile à déceler. En effet, les situations génératrices de honte provoquent,
en même temps que la honte elle-même, de nombreux autres sentiments ­ comme la colère,
la culpabilité, la haine ou le désespoir – qui vont masquer et se substituer à la honte initiale.


Les atteintes psychiques

La honte altère trois domaines et piliers essentiels sur lesquels nous bâtissons notre identité
et nos relations aux autres :
1) l’estime de soi : le sujet perd toute valeur à ses propres yeux.
2) L’affection qui nous lie à nos proches : le sujet pense qu’il n’est plus aimé.
3) Notre certitude de faire partie d’une communauté qui nous accepte :
le sujet pense qu’il n’intéresse plus personne.


Pour Wurmser (1981) : la honte garde les frontières du soi
alors que la culpabilité résulte du fait d’avoir agressé le territoire d’autrui.
Dans la culpabilité, nous sommes punis pour une action effectuée (ou seulement désirée) ;
dans la honte, pour une particularité de notre être même.
En ce sens, la culpabilité limiterait l’action,
alors que la honte préserverait l’identité.

Pour Kinston (1983) : la honte surviendrait lorsqu’un individu ressent la tentation
d’abandonner sa façon à lui de sentir et d’éprouver pour adopter
des façons de sentir et d’éprouver qui ne lui appartiennent pas,

mais qui le protègent en l’intégrant à son groupe de rattachement dont il craint d’être rejeté.

Pour Lewis (1987), (différences entre culpabilité et honte) :
1) La culpabilité est toujours liée à une transgression morale,
alors que la honte peut être également liée à une déception ou à un échec.
Dans la honte, la situation n’a donc pas été choisie volontairement.
Elle concerne une situation de soi à soi ou une situation avec les autres.

2) La culpabilité ne s’accompagne pas forcément de souffrance,
alors que la honte est un affect pénible.

3) Dans la culpabilité, le self est intact, actif, absorbé dans l’action et les pensées ;
l’individu éprouve de la compassion pour lui-même et cherche à améliorer son sort.
Au contraire, dans la honte, le self est passif, accaparé par le vide
et par la conviction de la perception négative que les autres ont de lui.

4) La culpabilité se décharge sur soi et les autres ;
tandis que dans la honte, la décharge des émotions est bloquée.

5) La honte est un désordre des émotions ;
tandis que la culpabilité est un désordre des pensées.

 
Pour S. Tisseron : la honte (symptôme, c’est-à-dire le sentiment qui perdure)
provoque une mort psychique, à la fois subjective et sociale.

La culpabilité n’affecte nullement le sentiment d’appartenance.
La honte ne peut être que niée ou dissimulée, et même à soi-même.

L’humiliation est la pire des épreuves.
Elle provoque la désagrégation de la personnalité et sa mort psychique.
Une victime (d’humiliation générant la honte) a deux types de réponse :
1) La reconstruction d’un semblant d’identité par l’adoption du mode de pensée du tortionnaire ;
2) Le refuge ou repli sur soi (…)


Selon moi : le sentiment de honte provient d’une partie de l’individu qui reste comme "sclérosée"
à la suite d’événements passés ou actuels l’ayant profanés (humiliations répétées, par exemple).
La honte provoque une dissociation en soi-même.
Cette scission déclenche une importante souffrance,
comme si l’âme du sujet était blessée et rendue à vif.
Dans le sentiment (qui perdure) de honte, à force et au fil du temps,
le surmoi du sujet risque de devenir particulièrement tyrannique, sévère,
accusateur et méprisant (envers lui-même et, souvent, envers les autres).
Le sujet finit par se détester et il reproduit des situations d’échec : c’est le cercle vicieux,
l’échec ne faisant que confirmer et renforcer le sentiment de honte (d’être nul, par exemple).
De dissimuler sa meurtrissure (objet de honte) amène le sujet à évoluer avec l’angoisse au ventre,
avec la frayeur d’être découvert (que son secret honteux soit mis à jour, révélé en public,
ce qui lui vaudrait, à nouveau, mépris et humiliations).
Le sujet honteux vit avec la crainte constante de devoir revivre une situation humiliante.
Le sujet honteux n’a plus confiance en lui-même (perte ou déficit de l’estime de soi).

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Note

* Rappel (qui m’est propre) : il faut distinguer une émotion d'un sentiment.
Une émotion n’est ni négative ni positive et, surtout,
elle est passagère puisqu’en lien direct avec ce qu’il se passe sur le moment.
Une émotion a juste besoin d’être exprimée. Une émotion sert à quelque chose.
Une émotion indique, signale, que des limites sont atteintes ou sur le point de l’être.
On peut apprendre à se maîtriser afin de ne pas se laisser déborder ou envahir par une émotion,
mais de vouloir la contenir ou la refouler se révèle le plus souvent contre-productif, voire malsain.
Certains diraient que si Dieu nous a conçu avec des émotions, c’est qu’elles ont une utilité.

Un ressenti de honte qui se répète fréquemment ou qui perdure
ou qui surgit sans lien direct avec ce qu’il se passe est un sentiment.

Comme pour la colère, le sentiment de honte est nocif ou, pour le moins, limitant.
Comme le sentiment de colère, le sentiment de honte peut être considéré négatif (pour soi
et sa façon d’être en relation ; et, par conséquent, ce type de sentiments est négatif également
pour les autres puisque ce ressenti biaise, génère des interférences, durant les interactions).

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8 commentaires:

  1. Nous avons un rôle tellement important en tant que parents, adulte, car ce que l'on a subi et vécu ne doit pas affaiblir la confiance, l' amour et la liberté que l'on doit transmettre aux enfants , être parents ce n'est pas si facile, les enfants sont des "éponges" du mal être que l'on peut ressentir tout le long de nos vies ..... et vice versa ... les faire grandir non pas dans la culpabilité de notre échec mais dans une liberté à agir et à réussir pour eux mêmes et surtout leur montrer que l'on est fier d'eux et de leur parcours ..... (même si il y a eu difficultés scolaires par exemple qu'ils n'ont pas à avoir honte de leur parcours) que la vie leur appartient et qu'ils nous laissent surtout notre fardeau à nous quel qu'il soit et ça c'est très dur parfois de se retenir de s'épancher ..... trop protéger ? En age de connaître certaines choses dures à entendre ? ne pas transmettre cette honte qui nous assaille ? Doit on leur dire ? Et si ça les fragilise, et si à leur tout ils enfilent cette honte ? Purée que le métier de parents est le plus dur du monde . Communiquer soulager cette culpabilité mais pas avec n'importe qui car cela peut être très lourd à porter ......

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    1. Je vais réagir sur certains points, ayant des choses à dire.
      J'apprécie bcp ton intervention lucide, pleine de bon sens et de sensibilité. MERCI Saby !

      3 premières lignes, RAS jusqu'à "et vice-versa" : cela dépend des parents.
      Certains parents ne sont pas réceptifs et ne se remettent pas en question.
      Certains parents sont peu sensibles et donc, peu compréhensifs de ce que peuvent endurer les enfants... Par exemple : certains pensent qu'un enfant ne souffre pas intérieurement !

      Ce que tu as écrit ensuite, Saby, c'est waow ! (Tu me parais être une chouette personne, une belle âme).
      Trop de parents, et quelle que soit leur classe sociale, s'offusquent des choix de leurs enfants... Ils projettent leurs désirs et idéaux sur leur(s) enfant...

      Oui, dur dur d'être parent (de ce que j'ai pu observer et suivre en tant que travailleur social). Mais pour l'enfant aussi, parfois, c'est dur dur...

      Ne pas trop protéger l'enfant ni le laisser livré à lui-même (des enfants de parents cool, hippie, leur ont reproché, une fois adultes, d'avoir été trop laxistes, par exemple).
      Les enfants ont besoin d'un cadre et de règles, ce qui est rassurant et ce qui leur permet de se construire et, parfois, d'outrepasser ces règles... Cela fait partie du "jeu", de leur éducation. Cela leur permet d'affirmer leur propre personnalité et d'assumer leur destinée (choix et décisions).

      Je pense qu'il faut parler à son enfant "d'une honte qui nous assaille" lorsque c'est le moment (selon l'âge et les événements) et si c'est nécessaire (ce qui demande d'observer l'évolution de l'enfant et de rester à son écoute).
      D'en parler devrait, au contraire, les aider à ne pas s'en charger et à faire la part des choses (c'est la honte de mon parent, pas la mienne).
      Un exemple perso : il y a peu de temps, mon père m'a confié avoir été complexé durant une bonne partie de sa vie. Dommage qu'il ne m'en ait pas parlé lorsque j'étais adolescent...

      Chaque parent, chaque enfant, chaque situation est unique.
      Pas de généralisation possible. Pas de modélisation possible.
      A chacun, chaque famille, de voir...

      :) à + Saby

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    2. Oh oui oui je suis d'accord chaque famille est unique . Il faut trouver un juste milieu et être très attentif à la réaction et au ressenti de nos jeunes , éducateurs et parents ... En ce moment en tant qu'enfant/adulte je reçois des confidences dont je ne voudrais entendre parler, ayant le coeur bien lourd je ne peux absorber ce fardeau, et pourtant je suis plus qu' en âge de les entendre ces p..... de confidences mais ça me perturbe beaucoup tu sais . Alors , mère toujours très protectrice je le deviens encore avec mes enfants(grands aussi) afin qu'ils ne soient pas atteints par tout ça .
      C'est certain que la confidence peut aussi aider à grandir et faire la part des choses pour mieux avancer ..... pas de généralité ni de modèle à suivre tu as tout à fait raison
      Je te remercie pour tes mots
      Bonsoir Eric

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    3. Et oui je suis entièrement d'accord sur le besoin d'un cadre et de règles pour grandir
      L'enfant roi n'est pas heureux !

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  2. Salut, beaucoup de chose a dire mais bon...Quand un enfant dis a ses parents qu'il ne veut pas vivre, et le monde qui est trop haut pour lui, ou la seule chose qu'il a bien fait c'est de rester couché sans rien faire, ou alors les "amis" qui ne comprenne pas pourquoi tu peux pas sortir de ta piaule...Non, c'est pas la faute de lui d'elle d'eux... Pour moi, je suis calme, même en honteux je cache ,je me cache et puis comme ça c'est mieux. A quoi ça sert de sortir vu qu'elle se tape ton meilleur pote ( le vin blanc ou bedo), bon la ça tourne niveau lycée mais après ça le calme puis les voix etc...
    La vie est pour ceux qui on toujours eu de la bouffe une famille uni, d'ailleurs la famille y'a que ça de vrai, non, y'a les amis que j'aie trouvé en France et pis pourquoi ça va pas pourquoi on bloque pourquoi on veut mettre un nom alors qu'a mon sens c'est un peu une allumette...
    Allez hop zouh j’espère pas être trop hors sujet, je commente pour Saby et toi :))

    https://www.youtube.com/watch?v=o1FO2TOhl8Y

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    1. Ce que tu décris, au début, évoque la souffrance intérieure de l'enfant.

      Comprendre ce qu'il nous arrive – nos souffrances, nos difficultés, etc. – n'est pas chercher qui a fauté. On s'en fiche de qui c'est la faute ou pas la faute, l'important étant de se sentir mieux dans sa peau, dans sa vie. Lorsque quelqu'un nous nuit, on le sait et l'important, dans ce cas, est de faire cesser le dommage. Le reste (vengeance ou non) est affaire personnelle.

      Effectivement, à mon avis et selon mon expérience,
      lorsqu'on a honte on a envie de se cacher, de disparaître...

      La "famille", on peut aussi se la créer soi-même (je ne parle pas forcément de faire des enfants, mais de trouver des potes, des personnes avec qui on se sent bien).

      Merci Cres pour ton témoignage riche (y aurait besoin de développer certains points, mais c'est ton affaire)
      ;)) à +

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  3. On a des amis qui sont notre famille, notre tribu, car entre amis on se choisit et le principal Cres c'est d'arriver à se sentir bien, se sentir aimé et apprécié pour ce que l'on est tout simplement , arriver à aimer et à s'aimer aussi un peu ;)

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