La peur est la petite mort qui conduit à l'oblitération totale. La peur tue l'esprit.
J'affronte ma peur. Je lui permets de passer sur moi, au travers de moi.
Et lorsqu'elle sera passée, je tournerai mon œil intérieur sur son chemin.
Et là où elle sera passée, il n'y aura plus rien. Rien que moi.

mercredi 8 novembre 2017

Dépasser la mécanicité (G I)

Pour l’anecdote : en octobre 2017, il y a eu un festival du livre, réputé dans la région.
Des bouquinistes s’y installent, en dehors des lieux d’exposition des maisons d’éditions.
J’y ai trouvé un livre lu il y a une vingtaine d’années, dont j’ai parlé ici, intitulé
« Fragments d’un enseignement inconnu », de P. D. Ouspensky, paru en 1947,
avec l’accord de G. I. Gurdjieff, puisqu’il s’agit de son enseignement.
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Dans cette rubrique va paraître une série d’articles portant sur la connaissance de soi,
articles se composant d’extraits de l’enseignement de G. I. Gurdjieff,
le maître de danse, selon les notes prises par P. D. Ouspensky.
G. I. Gurdjieff tenait sa connaissance de la « tradition ancienne ».

Soyez votre propre flambeau et votre propre recours.
– Sagesse orientale

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En préambule, abordons le sujet de l’humain et de son niveau de connaissance de soi :
Gurdjieff : Nous partons de ce fait que l’homme ne se connaît pas lui-même,
qu’il « n’est pas », c’est-à-dire qu’il n’est pas ce qu’il peut et ce qu’il devrait être.
Pour cette raison, il ne peut prendre aucun engagement, ni assumer aucune obligation.
Il ne peut rien décider quant à l’avenir.
Aujourd’hui, il est une personne, et demain il en est une autre. (…)
Le dialogue suivant, au sujet de l’humain-machine, s’est déroulé entre ~1915 et 1917.
Alors en Russie, P. D. Ouspensky y a fait la connaissance de G. I. Gurdjieff :
Ouspensky : Les gens sont en train de tourner en machines,
et je ne doute pas qu’ils ne deviennent un jour de parfaites machines.
Mais sont-ils encore capables de penser ? Je ne le crois pas.
S’ils essayaient de penser, ils ne seraient pas de si belles machines.
(…)
Gurdjieff : (…) la mécanisation dont vous parlez n’est pas du tout dangereuse.
Un homme peut être un « homme » tout en travaillant avec des machines.
Il y a une sorte de mécanisation bien plus dangereuse : être soi-même une machine.
Avez-vous jamais pensé à ce fait que tous les hommes sont « eux-mêmes » des machines ?
(…)
Ouspensky : (…) mais n’y a-t-il pas des gens qui ne sont pas des machines ?
Gurdjieff : Il se peut qu’il y en ait. Mais vous ne pouvez pas les voir.
Vous ne les connaissez pas. Voilà ce que je veux vous faire comprendre.
(…)
Ouspensky : Les gens se ressemblent si peu. J’estime impossible de les mettre tous
dans le même sac. Il y a des sauvages, il y a des gens mécanisés,
il y a des intellectuels, il y a des génies.

Gurdjieff : Rien de plus exact. Les gens sont très différents,
mais la réelle différence entre les gens, vous ne la connaissez pas
et vous ne pouvez pas la voir. (…) Machines ils sont nés, et machines ils mourront.
Que viennent faire ici les sauvages et les intellectuels ? (…) Tous les mêmes.
Mais il est possible de cesser d’être une machine.
C’est à cela que vous devriez penser et non point aux différentes sortes de machines.
Bien-sûr, les machines diffèrent : une automobile est une machine,
un gramophone est une machine et un fusil est une machine.
Mais qu’est-ce que cela change ? C’est la mêmes chose – ce sont toujours des machines.
(…)
Ouspensky : Un homme peut-il cesser d’être une machine ?
Gurdjieff : Ah ! c’est toute la question. (…) Oui, il est possible de cesser d’être une machine,
mais pour cela, il faut avant tout « connaître la machine ». (…)
Quand une machine se connaît, elle a cessé dès cet instant d’être une machine ;
du moins n’est-elle plus la même machine qu’auparavant.
Elle commence déjà d’être responsable pour ses actions.
(…)
La suprême illusion de l’homme, c’est sa conviction qu’il peut « faire ».
(…)
Cette question de « faire » en soulève d’ailleurs une autre. Il semble toujours aux gens
que les autres ne font jamais rien comme il faudrait, que les autres font tout de travers.
Invariablement chacun pense qu’il pourrait faire mieux.
(…)
Essayez de comprendre ce que je dis : tout dépend de tout,
toutes les choses se tiennent, il n’y a rien de séparé.
(…)
Pour « faire », il faut « être ».

Concernant un apprentissage avec le support des livres, G. I. Gurdjieff répondait :
Oui. On peut trouver beaucoup par la lecture. Par exemple,
considérez votre cas : vous pourriez déjà connaître bien des choses « si vous saviez lire ».
Je m’explique : si vous aviez « compris » tout ce que vous avez lu dans votre vie,
vous auriez déjà la connaissance de ce que vous cherchez maintenant. (…)
Mais « vous ne comprenez pas », ni ce que vous lisez, ni ce que vous écrivez.
Vous ne comprenez même pas ce que signifie le mot « comprendre ».
La compréhension est cependant l’essentiel,
et la lecture ne peut être utile qu’à la condition de comprendre ce qu’on lit.
Mais il va de soi que nul livre ne peut donner une préparation réelle.

Concernant les mensonges et la vérité, dans un contexte de développement de soi,
G. I. Gurdjieff a expliqué :
(…) on doit apprendre à dire la vérité. Cela aussi vous semble étrange.
Vous ne vous rendez pas compte que l’on doit apprendre à dire la vérité.
Il vous semble qu’il suffirait de désirer, ou de décider de la dire.
Et moi je vous dis qu’il est relativement rare que les gens fassent un mensonge délibéré.
Dans la plupart des cas, ils pensent dire la vérité. Et cependant, ils mentent tout le temps,
à la fois lorsqu’ils veulent mentir et lorsqu’ils veulent dire la vérité.
Ils mentent continuellement, ils se mentent à eux-mêmes et ils mentent aux autres.
Par conséquent personne ne comprend les autres, ni ne se comprend soi-même.
Pensez-y – pourrait-il y avoir tant de discordes, de mésententes profondes et tant de haine
envers le point de vue ou l’opinion de l’autre, si les gens étaient capables de se comprendre ?
Mais ils ne peuvent pas se comprendre, parce qu’ils ne peuvent pas ne pas mentir.
Dire la vérité est la chose au monde la plus difficile ; (…)
Pour dire la vérité, il faut être devenu capable de connaître ce qu’est la vérité
et ce qu’est un mensonge – et avant tout en soi-même.
Or cela, personne ne veut le connaître.
(…)
Nul n’apprécie ce qui vient sans efforts.

G. I. Gurdjieff explique que l’humain est constamment tiraillé, en son intériorité,
entre les « oui » et « non ».
Il parle d’une nécessaire « cristallisation » en soi-même.
Cette cristallisation forme, par solidification,
un « Moi profond », constant, unifié, intègre.

Note : la notion du « Soi » correspond, pour moi, au « Moi profond »,
constituant un noyau dur et constant en soi-même.
La cristallisation est possible sur n’importe quelle base.
Prenez par exemple un brigand de la bonne espèce, un brigand authentique.
J’en ai connu au Caucase. Un tel brigand, fusil en main
se tiendra aux abords d’une route, derrière un rocher,
pendant huit heures sans un mouvement.

Pourriez-vous en faire autant ?
Comprenez-le, une lutte se livre en lui à chaque instant.
Il a chaud, il a soif, les mouches le dévorent ; mais il ne bouge pas.
Un autre (exemple) est moine ; il a peur du diable ;
toute la nuit, il se frappe la tête contre le sol et prie. Ainsi la cristallisation s’achève.
Par de telles voies les gens peuvent engendrer en eux-mêmes
une force intérieure énorme ;

ils peuvent supporter la torture ; ils peuvent obtenir tout ce qu’ils veulent.
Cela signifie qu’il y a en eux maintenant quelque chose de solide, de permanent.


3 commentaires:

  1. Eric,
    Dense. Article à lire et relire. La solidification, la permanence, prendre racine en mouvement tout cela me parle.
    Merci.
    Thierry

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    1. Et ça ne fait que commencer...
      A toute Thierry

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    2. +
      Gurdjieff disait qu'en son intériorité, l'humain est toujours tiraillé entre les "oui" et "non" = lol, comme ton collage ! On était synchro, Thierry :))

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